Adeptes du big beat, passez votre chemin. Après quelques hésitations,
le nouvel opus des Chemical doit plus à la techno ou à la pop qu'aux breakbeats qu'ils
ont popularisés voici cinq ans, balayant de facto les éventuelles critiques de recette
éculée. Ed et Tom n'ont d'ailleurs qu'une requête à formuler : qu'on écoute
leur musique, sans se prendre la tête.
Avachis de tout leur long dans les confortables canapés d'un bureau de Virgin UK, Ed Simons
et Tom Rowlands affichent une nonchalance fidèle à leur réputation, qu'ils
pimentent à l'envi d'une pointe de cynisme. En ce dernier jour de mars baigné de soleil,
ils auraient sans doute préféré profiter du bouleversant spectacle des Londoniennes
généreuses et légèrement vêtues déambulant dans les rues
toutes proches de Portobello. Après tout, peut-on raisonnablement leur en vouloir ? Depuis
qu'ils ont bouleversé la donne musicale en réconciliant adeptes de l'indie et de la
techno avec Exit Planet Dust, premier album fondateur du big beat, leur attitude n'a pas varié
d'un bit. Les Chemical ont beau avoir passé quelques semaines perchés au sommet des
charts anglais, aucun tabloïd n'a jamais trouvé d'histoire croustillante sur laquelle
se répandre, aucune chambre d'hôtel ravagée, aucune overdose dans le collimateur,
même pas la moindre histoire salace. Préférant le refuge du studio à
l'hystérie des salons branchés, Ed (le grand frisé sans lunettes) et Tom (le
grand blond à lunettes) ont continué d'explorer avec perfectionnisme ce qu'ils connaissent
le mieux. Après avoir été outrageusement pillés par une horde d'opportunistes
leur suçant le beat, ils ont trouvé dans leur propre musique la meilleure réponse
à toutes les interrogations, en se réappropriant un beat binaire qu'ils avaient enterré
il y a cinq ans. Pour ceux qui pouvaient encore en douter, voici la preuve que les Chemical, c'est
de la techno. Même si ça peut aussi être de la pop, notamment lorsque les voix
de Noël Gallagher, Hope Sandoval (Mazzy Star) ou Jonathan Donahue (leader du combo américain
Mercury Rev) transcendent leurs compositions instrumentales. Entre références old-school
et production futuriste, hymnes dance-floor décérébrés et ballades
psychédéliques, leur troisième album est avant tout un disque invitant à
l'abandon dans la trance - qui s'installe depuis peu dans les clubs anglais - loin de toute considération
intellectualisante. Au point que le mutisme qu'ils opposent à toute question un peu gênante
en est d'autant plus agaçant. C'est clair, on ne conseillera à personne de partir en
vacances avec ces doux rêveurs. Par contre, Surrender pourrait bien faire partie du voyage.
Tom, je t'ai surpris à fredonner "Yo Yo" de Basement Jaxx. Leur parcours partage quelques
similitudes avec le vôtre : les soirées, un son décalé, les petits
bidouillages étranges en fond. Tu es sensible à ce qu'ils font ?
TOM:C'est un morceau magnifique [Il ricane]. Non, c'est pas mal, mais ce n'est pas ce qui me fait kiffer
dans la dance music. Ils ont sûrement une approche similaire à la nôtre dans la
composition et l'utilisation de références larges, mais je trouve que ce n'est pas
assez mental, pas assez trippy.
Ed : [long soupir]
Tom : Le riff de "Don't Give Up" est sympa, mais il n'atteint jamais le paroxysme qu'ils auraient
pu en tirer. J'aimais bien "Fly Life", qui n'est pas sur l'album, mais certains morceaux lents sont
vraiment mauvais, non ? Il ne suffit pas d'ajouter des vocaux soul pour qu'il y ait de l'émotion.
C'est quand même un disque novateur, qui prend le risque de déstabiliser l'auditeur
à la première écoute.
Tom : Hum, il y a quelque chose, c'est sûr. J'aime bien "Rendez-Vu". Quoi qu'il en soit,
respect pour ce qu'ils font, au moins ils essayent.
Ed : Peut-être qu'ils essayent même trop.
Tom : Et puis pour qui est le risque ? Prendre des risques implique d'avoir quelque chose à
perdre.
Mais si leur album ne marche pas ?
Tom : Si un disque ne vend pas, c'est que tu ne l'as pas fait de la bonne façon.
L'autre sensation du moment en Angleterre, c'est la déferlante Mr Oizo. Qu'est-ce que vous
évoque cet improbable succès ?
Ed : C'est une bonne chose pour F-Com, si ça peut les aider à continuer à sortir
des disques de qualité. Tu sais, en Angleterre, on a l'habitude que des marionnettes ou des
animaux soient n°1 des charts : on en a au moins un par an [rires]. Blague à part, on ne
peut que se réjouir que des grands-mères et des gamins achètent un morceau de
techno aussi basique : ça prouve une nouvelle fois le pouvoir d'attraction de ce son.
Tom : Et ça n'est pas de la house filtrée ! Parmi les productions françaises,
on a toujours aimé ce que font les Daft et les Micronauts, avec qui nous jouons le 20 juin
à la Cigale, et on a été bluffés par l'album de Air, vraiment unique.