Chemical Brothers

Chemical Brothers JUIN 99
La spendeur féroce de l'électronique grand public d'un duo furieusement psychédélique

Le big beat de 1995 mélangeait les guitares rock aux grooves techno pour le plus grand plaisir des clubbers. On s'agitait sur le "Chemical Beat" des Chemical Brothers. A l'époque, ils étaient pionniers avec leur album "Exit Planet Dust". En résidence au Heavenly Social Club, ils offraient une alternative à tous ceux qui ne comprenaient plus le traitement désincarné de la techno, version drum'n'bass pure et dure. Puis, la recette faisant florès pour Prodigy, Fatboy Slim et le label Skint, ce fut l'occasion d'un deuxième album, "Dig Your Own Hole" et ses titres psyché bétons en construction pop, puis enfin du mix "Brothers gonna work it out". En 1999, les Chemical, l'un des trois groupes techno aux ventes millionnaires avec Prodigy et Daft Punk, saute le pas. En réconciliant les vingt dernières années musicales au format chanson tout de même un peu mutant, "Surrender" offre une ouverture sur le (grand) large, un "trip" forcené conviant invités illustres (Bernard Summer, Noël Gallagher, Hope Sandoval, Jonathan Donahue) et compositions aux influences assumées, entièrement montées au sampler et au logiciel. Explication sur un pur moment d'"abandon", l'ovni techno-psychédélique de l'été. Et par ailleurs une tuerie.





Ce qui frappe d'entrée avec "Surrender", c'est l'emploi de sons qui ont marqué les années 80, autour du rock indé et de l'électro.
ED SIMMONDS : Les années qui nous ont marqué musicalement sont forcément celles de notre adolescence. Alors c'est vrai que j'aimais plutôt des groupes comme les Smiths ou New Order, et Tom plutôt Cabaret Voltaire... mais cela ne veut pas dire que nous voulons faire un revival eighties. Ou alors, ce serait plutôt la fin des eighties avec l'acid-house et le hip hop qui nous a pas mal influencé. Peut-être que tu peux entendre dans nos morceaux des bouts de musiques qui te font penser à des trucs eighties et dire que le morceau avec Bernard Summer "Out of Control" rappelle New Order. Mais en fait, aucun morceau de New Order ne lui ressemble vraiment.

J'ai lu que Hope Sandoval a fait deux prises en studio avec vous, et que sa voix n'a même pas eu besoin d'être retravaillée...
TOM ROWLANDS : Nous ne sommes pas seulement fans de la musique des personnes avec lesquelles nous collaborons, mais nous pensons également qu'il y a une sorte d'état d'esprit commun entre nous. C'est pas facile de faire confiance à quelqu'un pour qu'il mette sa voix, écrive des paroles sur ta musique. Il doit exister une espèce de base commune. (Ils chantent en choeur "If I were a bell" de la comédie musicale "Guys and Dolls") Nous avons toujours cherché à mélanger les sons organiques et numériques en essayant d'innover dans ce sens, utiliser différents sons avec des instruments qu'on n'avait pas utilisés avant. Nous écrivons toujours sur ordinateur avec des samplers. La manière de programmer est évidemment très électronique, mais cela revient à faire une synthèse entre les sons organiques et numériques. On voulait garder la puissance et l'énergie de nos précédents disques, mais on voulait aussi trouver une nouvelle manière de la rendre.

Allez-vous travailler différemment vos live ?
ES : La grande différence aujourd'hui est que cet album est plus diversifié que les autres. Il va peut-être y avoir des moments où les gens vont arrêter de danser, des moments plus calmes...
TR : J'aime quand les sets sont intenses, c'est l'une des raisons pour lesquelles on utilise parfois pas mal de fréquences agressives . C'est une expérience différente de celle des disques.
ES : Ce qui était bien avec les concerts de My Bloody Valentine en 91/92, c'était leur uitilisation d'un mur du son bruitiste, d'une manière plaisante. Comme nous avons essayé de faire parfois, parce que nous nous servons de funky beats lorsque nos sons sont radicaux.
TR : C'est un disque ambitieux, difficile à réaliser parce qu'il part d'une vision : faire une pièce de musique imposante et belle qui avance sans s'arrêter, en évoluant sans cesse. "The Sunshine Underground" commence half tempo, très rêveur et, peu à peu, il y a une accumulation de sons. Avant que tu ne le réalises, le rythme accélére et part techno/trance. Il y a beaucoup d' idées différentes sur cet album, mais l'ensemble garde tout son sens.

Vous avez joué en avril dernier pour un benefit concert en faveur des réfugiés du Kosovo. Ce n'est pas la première fois . Est-ce important pour vous de montrer que les Chemical Brothers, c'est pas seulement de la musique ?
ES : Nous ne sommes pas un groupe véritablement politique, mais on aime faire les DJ's. Ce qu'on aime à la base, c'est jouer notre musique aux gens. Alors après, que l'argent aille dans nos poches ou dans celles de quelqu'un d'autre, ça n'affecte pas ce que nous voulons faire. On a fait des choses pour l'association "Warchild" avant. On ne le fait pas à chaque fois, mais quand les gens nous le demandent, si c'est pour une bonne cause, on accepte avec le plus grand plaisir. Ce n'est pas vraiment pour montrer une autre facette de notre musique, c'est plutôt que c'est quelque chose que nous aimons faire et ça ne nous coûte pas grand chose...

Je voulais dire que les artistes techno ne font pas souvent ce genre de choses. Peut-être ne le leur demande-t-on pas ?
(Tom acquiesce)
ES : Sur un plan pratique, faire le DJ c'est une manière rapide de rassembler des fonds lors d'un concert, en opposition aux concerts rock. Mais on n'a pas envie d'être Bob Geldolf. On aime simplement faire ça, et si quelqu'un pense que ça peut aider une bonne cause, alors pourquoi pas ? C'était à Londres et à 10 minutes de chez nous, alors...

Est-ce que vous développez toujours votre label Freestyle Dust ?
ES : En fait, si on pensait que tel artiste avait des bons morceaux et qu'il n'avait pas l'attention qu'il mérite, on le ferait. Par exemple, on a failli signer les Français des Micronauts. Mais le truc, c'est qu'on n'a pas l'âme de mecs des maisons de disques. On préfére laisser ce soin à d'autres. Et puis on aurait pas le temps de s'impliquer à fond là-dedans.
En France, on est fan d'Air, de Daft Punk qu'on connaît depuis longtemps et des Micronauts ...
TR : Mr Oizo. ça va faire du bien à F-Com. C'était numéro 1 en Angleterre et en Allemagne.

J'ai lu que vous vouliez faire un disque qui permette aux gens de s'échapper.
TR : J'aime quand la musique peut te transporter vers l'ailleurs. J'aime la musique qui peut te faire sortir de toi-même. Comme l'émotion qui amène des changements en toi. La manière dont nous composons, surtout pour celui-ci avec ces couches de sons qui s'entrecroisent, s'apparente à un voyage (trip), une expérience pour les gens. Le disque fait presque une heure et quand tu arrives à la fin, tu es passé par un tas d'endroits, d'émotions. La maniére dont tout s'embrique est bonne, tu t'es vraiment échappé pendant une heure dans un monde différent, c'est une musique très "self-contained".

La manière dont tu parles d'"escape" semble différente de celle envisagée par l'entertainment. Je trouve que les Chemicals, c'est pas seulement de l'entertainment.
ES : Je ne sais pas si il y a quelque chose de plus profond que l'entertainment. Créer une musique qui fasse ressentir quelque chose aux gens, qui t'affecte : c'est de cela qu'il s'agit. Et la musique mauvaise te passe au travers. Pour revenir à "Sunshine Underground", tu dois te laisser complétement aller à l'écoute du morceau. Tu dois te laisser absorber par tous ces sons et ces changements. Il y a plein de choses à découvrir dans ce morceau si tu te laisses aller à son audition. Ecouter attentivement, c'est ce que j'apprécie quand j'écoute des disques.

Vouliez-vous faire un album aussi diversifié dès le début de la compositon ?
TR : C'est juste la manière dont c'est sorti. Ce disque te fait passer par différentes humeurs et sons, mais ça nous ressemble toujours beaucoup, comme sur tous nos disques. Sur le premier, il y avait ce morceau avec Beth Orton et en même temps il y avait "Chemical Beats". Donc deux choses très différentes. Et je pense que sur celui-ci, la palette d'émotions s'est agrandie, c'est venu naturellement pour nous.
ES : Ce n'est pas la peine de se glorifier de faire un album. J'aime des albums qui ont la même humeur tout du long également. J'aime le fait que les gens puissent entendre le morceau avec Hope Sandoval et que ça ressemble quand même à du Chemical, même si c'est différent de ce qu'on a pu faire par le passé.
TR : Je pense que notre son est suffisamment fort pour pouvoir absorber d'autres influences, sans qu'il soit trahi par de nouvelles collaborations.

Quand vous composez, avez-vous chacun un rôle défini, un schéma selon lequel Tom s'occupe plus des beats, par exemple ?
ES : Peut-être que Tom travaille un morceau jusqu'à un certain niveau. Peut-être que la base vient plus de Tom, même si nous travaillons ensemble de manière très proche. Mais on ne travaille pas de façon séparée comme certains. Ca serait bien pour les interviews de dire Tom fait çi, et moi je fais ça. Mais désolé, c'est pas vrai. Ce qui est bien en électronique, c'est que tu n'as pas cette division entre les musiciens comme dans le rock.

En dehors de la musique quels sont vos passe-temps?
ES : Les comédies musicales.
TR : J'aime faire du vélo dans la forêt. J'aime un peu la nature.
ES : J'aime conduire ma voiture ou marcher dans les parcs.

Propos recueillis par Philippe Morrison.
Photo: DR. K. Westenberg