Les ravers préfèrent le Banana Split

(Nouvel Observateur - N°1693 page 17 - 17/04/97)

Chaque semaine les danseurs des raves londoniennes gobent 8 millions de livres d'ecstasy

C'est le temple européen de la techno, la plus grande boîte de nuit de Grande-Bretagne. Elle peut accueillir jusqu'à 2 500 personnes. Ce samedi-là, à 2 heures du matin, pour entendre le disc-jockey Mike E Block, ils sont encore des centaines à faire la queue devant les portes du Ministry of Sound sur Gaunt Street, au coeur d'Elephant and Castle, un quartier zonard de Londres. « Niveau sonore excessif » : à l'entrée de la première piste de danse, des panneaux ont la correction de prévenir. Mais l'avertissement est assez superflu : dès le seuil, les rythmes des séquences sampler amplifiés par huit énormes chapitaux d'enceintes, dont la puissance est gardée secrète, font décoller le plexus. Mais ce qui fait franchement inhospitalier, c'est la garde prétorienne du service d'ordre : une équipe d'armoires à glace en blouson noir qui va jusqu'à fouiller les recoins des paquets de cigarettes pour feindre de décourager les consommateurs d'ecstasy et autres substances illicites. Inhospitalier et hypocrite : dès qu'on a franchi le barrage des videurs, on est accosté par des dizaines de revendeurs qui susurrent « x, x, x... » dans les recoins du bar. Car les organisateurs de raves légales savent bien que le succès de leur soirée dépendra de l'approvisionnement en ecstasy.

Selon le Henley Centre For Forecasting, en Grande-Bretagne, le marché de la rave représente près de 2 milliards de livres par an. Le million de jeunes qui assistent à ces fêtes chaque week-end dépense en moyenne 35 livres par soirée. La moitié de ces ravers « gobent » de l'ecstasy pour une valeur de 8 millions de livres par semaine. Sans les petites pilules baptisées aussi Discoburger, difficile de tenir toute la nuit à un centimètre de la soufflerie des enceintes, des pulsations métronomiques qui accélèrent le rythme cardiaque. Pour faire face à cette consommation industrielle, les fabricants se sont mis à couper leur produit. Les pastilles contiennent de moins en moins de MDMA (formule chimique de l'ecstasy) pur. Comme les pilules font moins d'effet, les ravers professionnels leur préfèrent les party packs, cocktails beaucoup plus forts composés d'un demi-ecstasy, de LSD, de somnifères et d'amphétamines, ou le Banana Split (amphétamine, cocaïne et LSD). L'ecstasy a ses détracteurs - les pouvoirs publics et les parents des 80 personnes, qui, en Grande-Bretagne, sont mortes pour en avoir consommé - et ses avocats passionnés.

Nicholas Saunders, le gourou londonien de l'x, l'auteur d'« Ecstasy and The Dance Culture », encense la nouvelle forme de communion tribale générée par l'absorption de la drogue. Dans le quotidien « The Guardian », un rabbin, qui a préféré garder l'anonymat, reconnaissait : « Les religions traditionnelles ont perdu la capacité à susciter chez leurs disciples des expériences mystiques. Aujourd'hui, les gens sont beaucoup plus à même d'appréhender le divin sous ecstasy. »


S. D.