Interviews : Armand Van Helden

ARMAND l'enchanteur

Si le New-Yorkais d'adoption n'a pas l'aura des héros masqués qui peuplent l'imaginaire underground, force est de reconnaître à Monsieur Van Helden un sens inné de la synthèse rythmique, de la parenthèse mélodique, une véritable marque de fabrique en même temps qu'une conscience aiguë de sa place sur le grand échiquier musical mondial. Conversation avec cet homme d'action plus que de conviction, qui entretient avec l'Europe un rapport presque charnel, en tout cas l'un des premiers sex-symbol de l'étéro-house music. Business. Présentations.




DARREN : "On nous pose souvent la question et c'était effectivement mon choix. Cet été, j'étais au Space à Ibiza avec Sven Väth et, quand il l'a joué, tout le monde est devenu fou ! Je ne l'avais pas entendu depuis longtemps, et ça m'a fait réfléchir. C'est un titre féroce, vraiment hypnotique, j'adore ses cordes disco saturées."

Armand, tu séjournes en Europe pour plusieurs semaines afin de faire la promotion de ton premier véritable album, et te livrer en pâture devant quelques clubs addicts triés sur le volet. Es-tu toujours autant attiré par ce mode de vie qu'à tes débuts ? Est-ce que tu arrives à trouver du temps pour conserver une vie privée ?

La promo n'est pas le problème : il s'agit juste de faire chaque chose, l'une après l'autre, projet par projet, sans précipitation ni prise de tête. Real fast, real hard. Mais une fois que tout ceci sera terminé, je rentre à la maison et je reste tranquille jusqu'au prochain album. Je n'ai pas l'intention de me laisser déborder par ce rythme, donc je m'organise. Je m'octroie énormément de temps libre : je suis mon propre entrepreneur, je fais mon business pour mon seul compte, je n'ai pas de patron ; j'ai des partenaires mais ce sont seulement des gens qui veulent travailler avec moi, qui veulent que je leur fasse quelque chose de spécial, des remixes, des prestations. J'ai l'opportunité de refuser à chaque fois que je veux, aux offres de remixes, aux propositions de Dj-act. Même mon manager a évolué avec moi : il ne me pousse plus à accepter ce que je n'ai pas envie de faire. Je peux désormais me consacrer à l'essentiel, garder du temps pour moi, en tout cas plus qu'avant.

Quand tu regardes en arrière, est-ce qu'il y a quelque chose que tu regrettes par rapport à ta carrière ?

Je ne suis pas vraiment du genre à regretter quoi que ce soit. Je regarde davantage vers l'avenir. Ce que je pourrais regretter aujourd'hui, ce sont plutôt des choses minimes, essentiellement liées à mon passé. Quand, à titre d'exemple, en 1988, à une époque où j'étais pas mal dans le commerce de dope, un pote à moi a attendu toute la nuit que je lui ramène la bagnole que je lui avais empruntée, alors qu'il attendait le résultat d'un deal devant chez lui. Je savais tout juste conduire et je lui ai massacré sa tire : je me suis retrouvé comme un con, incapable même de me souvenir où il habitait, à tel point que j'ai été obligé d'aller trouver les flics pour retrouver mon chemin ! Quand j'ai dû lui annoncer que sa voiture était morte, nous n'avions tous les deux aucune tune, j'étais mal de savoir que je ne pouvais pas lui filer un centime alors que cette bagnole constituait l'une de ses seules sources de revenu. C'est l'une des choses que je pourrais regretter.

Crois-tu que cette expérience de bad boy ait été déterminante pour la suite de ta carrière ?

Pour maintenant ? J'en sais foutrement rien. J'avais surtout pour habitude d'en vendre : nous fonctionnions dans des espèces de ghettos où les mêmes revendeurs et une flopée de nanas avaient coutume de se retrouver ensemble. Une sorte d'easy posse. Je pense que les expériences de cette nature m'ont vraisemblablement donné le goût du challenge. Je ne dirais pas que vendre de la drogue soit nécessaire pour vendre des disques plus tard, mais je crois que ce qui est important dans mon cas, c'est la culture du combat. Avec tous les succès que j'ai connus depuis 2 ou 3 ans, j'aurais pu vraiment tout gâcher sans cette volonté de lutter. Je crois que j'ai un rapport privilégié avec l'adversité : beaucoup de personnes reculent devant l'idée de se battre et finissent par tout perdre. Moi, je ne me sépare jamais de cette esprit combatif et je crois que cette discipline m'a jusqu'ici préservé de bien des mirages.

Le combat reste également un moteur dans ta vie de producteur ?

Je crois que ça me permet de creuser toujours plus pour refuser la facilité et ne pas accepter de faire des choses que je risquerais de finir par ne plus assumer. Certaines personnes, que je connais bien, sont nées en haut de l'échelle, avec les poches bien pleines, et n'ont pas là même vision de la production, du business musical que moi. Ils ont tendance à répéter les mêmes schémas sans chercher à se renouveler, à innover. A mon avis, ils vont dans le mur. Je crois que quand tu viens du bas de la même échelle, tu es obligé de travailler plus, de te construire toi-même, de créer ta propre carrière, tes propres référents. Et je suis sûr que c'est meilleur pour la musique que tu es amené à produire.


Armand en cinq dates
1971 : naissance à Boston (Massachussets) d'un père indonésien et d'une mère franco-libanaise plutôt portés sur les mélanges.
1984 : papa lui offre sa première boîte à rythme; sample "Planet Rock" ou Steely Dan et remporte ses premiers contests de hip hop.
1989/90 : retourne s'installer avec ses parents à Boston dans le ghetto latino où il s'acoquine avec différents trafiquants urbains ; deale de la coke pour se fournir en galettes.
1996/97 : Armand-les-bons-remixes engrange les lauriers dans les charts; signe "The Funk Phenomena" et "Enter The Meatmarket", premier album d'obédience hip hop.
1999 : "U Don't Know Me" et "Flowers" déboulent armés jusqu'aux dents pour asseoir la suprématie de "2 Future 4 You" sur Cassius.