Interview : Luke Slater

LA MAIN FROIDE
Des compositions à la profondeur abyssale de "Freek Funk", en fin d'année dernière, laissaient déjà soupçonner une personnalité en pleine mutation. Après une "jeunesse" des plus mouvementées ­ Luke Slater n'a que 29 ans et quelques 8 albums derrière lui, notre "party animal" semble désormais s'assagir et préférer le confort du nid familial à la ferveur des clubs. A l'image d'une génération de producteurs dont les propres enfants constitueront bientôt le principal public, notre énigmatique éphèbe se soucie peu du monde qui l'entoure et cherche intérieurement les réponses à des doutes qu'il ne s'autorise pas vraiment. Sa voix affiche une confiance mesurée. Fataliste mais jamais résigné, il avoue ainsi se sentir proche de la religion, mais d'aucune en particulier, avoir un peu de mal avec l'idée de tribu, qui est aujourd'hui socialement si importante et préférer rester en dehors de tout ça, avec ma famille, dans ma maison. A Crawley, petite bourgade tranquille de l'Angleterre profonde, où il affine avec son fils de 9 ans ses prochaines productions sans trembler.

Ce serait donc ton fils qui produit tes morceaux ?


ça pourrait l'être en tout cas. L'esprit d'un enfant est vraiment différent : quand les choses sont simples elles sont souvent plus efficaces. L'un des morceaux de mon album sera complètement écrit avec lui, il fait une bonne partie de la programmation et des voix qui sont samplées puis retravaillées de façon bizarre. Contrairement à moi au même âge, il a toujours baigné dans cette technologie, entouré d'un séquenceur, d'une boite à rythme et d'une platine vinyl. Je crois que ce morceau s'appellera "Jay", du prénom de mon fils.

Est-ce que le succès est important pour toi ?

Quand j'ai commencé à faire cette musique, il n'y avait aucune autre raison valable que celle d'écrire exactement la musique que j'avais envie de faire et d'entendre. Je m'en suis toujours tenu à ça. Si tu essayes de changer ce que tu fais pour de mauvaises raisons, tu n'es plus vraiment toi-même, tu commences à vivre un mensonge et tu en arrives vite à te balancer par la fenêtre.

Comment es-tu arrivé sur Novamute ?

Je ne voulais pas être sur une major parce que je savais que ce que je produirai ne serait jamais du Oasis. J'aimais bien les artistes qu'ils sortaient, Richie Hawtin, Darren Price, Speedy J , et quand ils m'ont proposé de travailler avec eux je n'ai pas voulu manquer l'opportunité d'être soutenu par des gens honnêtes, qui sont si rares dans ce milieu.

L'accueil de "Freek Funk" a-t-il été à la hauteur de tes ambitions ?

Ca a bien marché partout dans le monde, en particulier aux États-Unis et en France. Même si l'Angleterre reste un marché difficile pour ma musique, j'y ai fait mon meilleur score. Je n'ai jamais voulu écrire un morceau délibérément overground par éthique, je suis donc particulièrement content que ça le fasse aujourd'hui. En Angleterre, le groove underground n'a jamais été totalement accepté, même si les fondations de la musique overground puisent dans notre créativité.

Es-tu sensible au retour de l'electro, du breakbeat, sur le devant de la scène ?

J'étais dans l'electro quand j'avais 16 ans, mais je ne ressens pas le besoin de recréer ce qui a été fait en 82. Je préfère emprunter plutôt que copier. Sampler un disque vintage, ça peut être créatif, tout dépend de la manière dont tu utilises ce sample, mais on peut tout sampler. On avait même samplé un bruit de toilettes sur mon dernier album, sur le morceau electro, "Bless Bless". Je veux juste que ma musique conserve son côté funky, que les gens ne puissent pas s'empêcher de danser dessus.

Le dernier sample que tu ais utilisé ?

C'est un white label, un disque de "rare groove". C'est une excellente façon d'expérimenter avec de nouveaux sons. Il y a un double Ep qui tourne en ce moment, avec un sample du "Perfect Dancer" de Chic et une 909 pour booster l'affaire : ils ont carrément utiliser des extraits du morceau et ça fonctionne vraiment bien, tu peux aussi le doubler avec l'original. C'est le genre de truc que tu fais pour le fun et qui est idéal pour le dance-floor, même si pour un album on est obligé de réfléchir différemment.

Massive Attack a été un groupe essentiel dans la découverte de la musique électronique pour beaucoup de gens. Tu apprécies leur musique ?

Oui mais, probablement à cause de ma culture de Dj, je pense qu'aucun artiste ou disque ne mérite d'être mis sur un piédestal. Si j'aime un disque, je le joue. Carl Craig est probablement la seule exception à cette règle : c'est celui qui m'a laissé la plus forte empreinte, aussi bien au niveau de ma personnalité que de mon travail. J'aime la façon dont il procède, sans pour autant renier mes origines rock, qui vont de Gary Numan aux Beatles.

Que peut-t-on faire pour éviter que la techno ne devienne le rock de cette fin de siècle ?

Rien, c'est déjà le cas. La techno n'est pas la musique du futur, c'est la musique d'aujourd'hui. Après toutes ces dernières années où la techno était vraiment devenue une recette, exploitée de façon très limitée, il semble qu'il n'y ait plus aucune règle et c'est ce qui rend la période si créative. C'est l'electronica, une version plus mélodique de la musique électronique qui se rapproche du format pop, qui est la musique de demain. C'est d'ailleurs ce qui me pousse à continuer.

Disco Novamute/Labels