Plus de quinze ans de DJing, les premières soirées house parisiennes avec Laurent Garnier, des maxis sortis sur le label américain, Toronto Underground, des résidences à Berlin, Genève, Mannheim, Lausanne... Malgré tout, Erik Rug est resté trop longtemps à l'écart de la scène française. Mais le succès international de son dernier maxi,"Cut the Rug", (sur Paper Recordings) remet les pendules à l'heure. Erik Rug entre par la grande porte. Avec un tel pionnier, parler de "success story" serait réducteur. Il s'agit plutôt d'une "success history". Car Erik fait déjà partie de l'histoire de la house française. Entretien avec un DJ qui préfère le hip hop à la techno.

Success History

Tu t'attendais au succès de "Cut the Rug" ?

J'étais sûr que de la qualité du morceau. Par contre, je voulais le sortir sur mon label... Finalement, les Anglais de Paper Recordings m'ont proposé de le signer chez eux. Ils ont bien fait les choses. Ils ont d'abord envoyé 150 copies promo à tous les grands DJs : Danny Tenaglia, Roger Sanchez, Smoking Joe, Ashley Beedle... Et puis on a attendu deux mois, le temps d'avoir les premières retombées. Résultat : le maxi a été classé dans les play-lists de quasiment tous les mecs. Ils ont tous charté ce disque. Ce qui fait qu'avant même qu'il sorte, "Cut the Rug" était classé partout. En voyant ça, les importateurs, les distributeurs et les magasins se sont dits : "Tiens, c'est quoi ce disque ?" Ils l'ont vu arriver sur les précommandes, sur les faxes... Et ils l'ont commandé en masse.

Comment expliques-tu cet engouement ?

En fait, le disque arrive au bon moment. A mon sens, c'est la deep house en général qui cartonne aujourd'hui. Son heure a enfin sonné. Musicalement, depuis que je joue de la house, j'ai toujours joué de la deep. Mais c'est seulement aujourd'hui que je sens qu'il y a une effervescence autour de ce style. Tu n'as plus besoin de suivre le critère : "Faut que ça cogne". Maintenant, tu peux vraiment jouer des disques agréables, qui se déroulent tout simplement, qui sont vraiment plus mélodieux, plus musicaux. Les gens sont désormais imprégnés par la house. Ils recherchent quelque chose qui s'écoute plus attentivement.

Avec ce maxi, tu as l'impression de respecter une tradition américaine ou plutôt d'imposer ta "french touch" ?

Cela n'entre certainement pas dans une tradition 100% américaine. Si j'essayais de faire un disque qui sonne américain, je n'y arriverais pas de toutes façons. Quand on a fait ce maxi, avec Marc Collin de Ollano, on ne s'est pas dit qu'il fallait que ça sonne américain. Il fallait seulement que ça sonne comme on aime. Il fallait qu'on apprécie tous les sons qu'on utilisait, il fallait que ça swingue, que ce soit smooth. C'est peut-être pour ça que l'on peut trouver qu'il sonne un peu américain.

Tu es DJ depuis l'âge de quinze ans...

Oui, mais je n'ai pas fait ça tout le temps. J'ai mixé de 15 à 22 ans et puis j'ai recommencé en allant vivre à Paris. A l'époque, je jouais à la Locomotive. C'était en 1985, je crois.

En quinze ans de DJing, tu as vu ton statut passer de pousse-disques à celui de sex-symbol...

Je n'entre pas du tout dans le délire du star system qu'il peut y avoir avec les DJ's. Ça m'emmerde. En même temps, cela peut paraître un peu crétin de dire ça alors que je réponds à tes questions et qu'on va voir ma gueule dans Coda. Mais je le fais parce que j'estime qu'il y a peut-être des gens qui veulent en savoir un peu sur moi.

Tu as été DJ résident dans plusieurs clubs, en Suisse et en Allemagne. Pendant longtemps, tu as été plus connu dans ces deux pays qu'en France, ou même à Paris... Comment expliques-tu ce manque de reconnaissance parisienne ?

C'est tout con. Ici, je n'avais pas de boulot. Personne ne m'en proposait. Alors qu'en Allemagne ou en Suisse, dès que j'avais l'occasion de jouer, d'autres patrons de boîte me repéraient et me bookaient. Le public accrochait à chaque fois. Cela s'est fait tout bêtement. Cela dit, à Paris, il y a des mecs qui m'ont soutenu : le fanzine, Eden, Thierry et Pierre, de Temple (qui faisaient les soirées Lunacy à l'époque), Richard Penny, de Soma... J'ai toujours été soutenu par des gens d'ici, mais des gens qui gravitaient autour de la scène, qui n'avaient pas de résidence dans un club. Par contre, j'étais résident dans six clubs à l'étranger à un moment donné. J'ai été obligé d'arrêter parce que ça devenait un peu fou. J'ai bossais dans des clubs de Lausanne, Mannheim, Berlin, Genève, Francfort... J'en ai même oublié les noms. Et là, cet été, je vais être résident au Rockstore à Montpellier. En fait, c'est drôle, mais les gens qui m'ont tout de suite soutenu venaient de la province.

Tu n'avais pas l'impression d'appartenir à la scène house parisienne ?

Non, pas à Paris. Bizarrement, j'avais assez peu de contacts avec les DJ's parisiens. J'avais plus de contacts avec les DJ's de province, de Lille, de Strasbourg, de Montpellier, de Marseille, qu'avec les gens de Paris qui m'ont un peu snobé. On ne me parlait pas vraiment, je jouais mes disques. Et je ne savais jamais vraiment ce que le petit milieu underground en pensait.

Et pourquoi, à ton avis ?

Peut-être qu'ils n'aimaient pas les voix. J'en ai toujours jouées. J'ai un background soul. A Paris, il y a eu une période où dès qu'il y avait une voix, les gens te regardaient avec des yeux horrifiés...

Tu as sorti tes premiers maxis sur un label nord-américain, Toronto Underground. Comment tes productions ont-elles atterri là-bas ?

Depuis le départ, j'étais un fan de Nick Fiorrucci, qui était le manager de Hi-Bias, dont dépendait Toronto Underground. C'était un producteur qui était branché électro dans les années 80 et qui s'occupait d'un autre label, Big Shot. Je ne l'avais jamais rencontré. Mais je collectionnais toutes les sorties de Big Shot et Hi-Bias. A l'époque, je voulais sortir des disques en montant mon propre label. Mais j'ai quand même envoyé une cassette, sans trop y croire. Je n'espérais même pas qu'ils me répondent. Et Finalement le mec m'a appelé. J'étais tellement heureux que j'ai toujours gardé le message laissé sur mon répondeur : "Hi ! It's Nick Fiorrucci, Hi-Bias Records." J'ai même voulu faire un disque en samplant ce message. J'étais assez fier à l'époque, parce que j'étais le deuxième ou troisième DJ européen à signer sur un label américain.

Aujourd'hui, entre ta résidence au Rex Club, tes émissions sur FG et ton label, Artefact, tu es en position de force...

Oui, mais aujourd'hui, la scène parisienne est méconnaissable. Paris a complètement changé. Il y en a pour tous les goûts. Il y a des clubs fashion, comme le Palace ou le Queen, et un super-club moins fashion comme le Rex Club. Tu peux y sortir pour la musique et moins pour le look. Et tous les clubs font un effort de programmation. Et puis tu as tous les bars, les disquaires qui poussent comme des champignons, tu as la presse : Coda, Play, Zipper, Remix... FG qui rayonne, Nova qui booste le week-end. Les labels qui explosent...

C'est bizarre, malgré tout, on a toujours l'impression que tu te tiens à l'écart de la scène house-techno parisienne...

C'est une question de mentalité. J'ai l'impression de me prendre moins au sérieux que les autres. Ce n'est pas péjoratif. Je me sens simplement différent d'eux. En fait, je ne me sens pas comme un puriste de la house. Je ne suis pas là à vouloir faire de l'underground à tout prix. A ne pas jouer un disque parce qu'il a tel son de piano, ou parce que le refrain ne me plaît pas. Je n'en ai rien à secouer. Je joue ce que j'aime en essayant de faire plaisir aux gens.

Tu es sûrement le seul DJ qui joue régulièrement du hip hop sur FG...

Cela fait partie de mon environnement sonore. A la limite, j'écoute plus de hip hop, de soul, de dub ou de jazz que de house. Je suis un passionné de house, c'est ma vie d'une certaine manière, mais je ne veux pas m'arrêter à ça. Je me sentirais un peu stupide, un peu ignorant, de ne pas m'ouvrir à tout ce qui se passe. Il n'y a pas que la house qui est intéressante en ce moment.

Par contre, tu n'as jamais été séduit par la techno ?

Je ne déteste pas la techno, mais il y a beaucoup de productions que je trouve assez vilaines. Cela m'emmerde en général. J'aime pas le côté hardcore. Même si j'avais douze ans, je ne pense pas que j'aimerais ça. Il y a quand même des productions que j'apprécie. Je ne suis pas complètement fermé. J'aime bien Juan Atkins, Eddy Flashin Fowlkes... J'ai aimé "Strings of Life" de Derrick May, comme tout le monde, à la limite. Non, vraiment moi, la techno ça m'ennuie, il ne se passe rien. Je peux te parler de soul ou de hip hop, mais la techno m'emmerde. Et ce n'est pas parce qu'un black américain va me dire qu'il aime la techno que cela va me convaincre qu'il y a un groove dans cette musique...

Quels souvenirs gardes-tu de tes premières soirées en club ?

J'en ai des tonnes. Quand j'ai commencé à mixer, je bossais dans la boîte de mon oncle. Les platines étaient dos au mur, derrière le bar, coupées de la piste... A l'époque, il faut savoir que les feutrines n'existaient pas, que les pitches sur les platines n'existaient pas... J'étais dans un petit coin derrière le bar. Dès que mon oncle ouvrait le frigo, la porte me cognait dans le cul et le disque sautait. Et j'avais vingt francs comme argent de poche. Quand j'avais quatorze ans, j'allais en boîte et j'étais déjà passionné par le DJ. A l'époque, le DJ était capable d'arrêter la musique, de monter sur une estrade déguisé en Coluche, de passer un sketch et d'imiter le chmilblick. Moi, j'ai commencé dans des ambiances comme ça. A côté de ça, le mec mettait des disques tellement mortels... Des trucs de disco qui me pétaient la tête. Pour moi, le club reste magique. Ce qui me fait délirer, c'est de voir un club se remplir, se vider, exploser ou au contraire rester plutôt calme. Le club, c'est ma seconde maison...

Play-list de l'été :

1 - Todd Terry "Jumpin !!!" (test-Manifesto)
2 - Wastepaper "Origami" (test-Paper)
3 - Shay Jones (test-Maxi)
4 - Daphreephunkateerz "1-2-3 Tonz of Phunk" (test-Artefact)
5 - DJ Q "We Are One" (promo-Filter)
6 - Street Corner "Symphony For the Devil" (promo-Open)
7 - Travis Nelson "On Tour" (promo-Planet)
8 - Underground Baseheads "Bit of Love" (Groove Alert)
9 - First Priority "A Transformation" (Grand Central)
10 - New Luxury Service (test-009)

Résidences :

Erik Rug est résident aux soirées "Temple" tous les samedis au Rex Club. Cet été, il sera résident au Rockstore de Montpellier, tous les mercredis soirs. Il joue tous les lundis sur Radio FG (98.2 FM en région parisienne) pour son émission «Wax Groove» entre 17h00 et 18h30.

Prochaines sorties :

- Daphreephunkateerz "1-2-3 Tonz of Phunk" (Artefact)

- Erik prépare la sortie du prochain Dirty Jesus avec Marc Collin (sur Paper Recordings)