Les visions hallucinantes d'un géant de la musique contemporaine qui influence bien des DJs...
Avant même les DJs, le sampling et les boîtes à rythmes, dès le milieu des années 60 Steve Reich mettait en boucles des bandes et sons enregistrées dans la rue. A bien des égards, ce grand compositeur de musique contemporaine est le parrain du mouvement techno. Il est l'un des inventeurs de la musique minimale ou musique répétitive, basée sur l'enchevêtrement de lignes rythmiques qui évoluent peu à peu pour tisser des formes à la fois savantes et swingantes, simples et multiformes. Une musique inspirée d'Afrique ou d'Asie autant que des travaux des musiques sérielles ou concrètes des Henry, Schaeffer, Xenakis ou Boulez... Mais l'actualité de Steve Reich, en ce mois d'avril 1999, vient d'abord des musiques digitales, hip hop et surtout techno. L'événement, c'est la sortie du premier album de remixes de titres du Monsieur, avec Howie B., Coldcut, Andrea Parker, Tranquility Bass, D*Note, Mantronik, Ken Ishii... L'occasion pour nous d'une rencontre au long cours avec ce compositeur majeur, pour une discussion d'une heure et demi au rythme endiablé de sa diction speedé de new-yorkais. Une interview monument qui vaut la peine de s'accrocher, car elle fait le tour de plusieurs siècles de musique de Bach à DJ Spooky. Parole de Steve Reich...
Quelle était l'idée du projet ?
STEVE REICH : J'étais à Tokyo en 1996, où je devais donner "Music for 18 Musicians" et "Drumming". Je discutais avec Hiro Nakashima, qui s'occupe du label Nonesuch au Japon, et avec lequel je suis en relation, et il me dit qu'il y avait beaucoup de jeunes DJ japonais, et probablement européens, intéressés par mon travail. Et il a eu l'idée des remixes. Ca aurait pu se terminer là, mais j'ai dit : "Si tu peux organiser ça, cela m'intéresserait de l'entendre." Il écrivit rapidement à David Byther, qui est à la tête de Nonesuch à New-York. Puis David contacta Amy Coffey, qui est impliquée dans la scène dance et dans les clubs là-bas (elle appartient au label londonien Coalition). Au bout de quelques mois, par l'intermédiaire de ces trois personnes, des cassettes, des DATs commencèrent à arriver, 25 ou 30 peut-être. Des remixes de mes différents travaux. Et aujourd'hui, vous entendez le résultat de ce que nous avons choisi.
Quels genres de DJ ont réalisé ces remixes ?
Les personnes qui étaient là !
Des gens comme Aphex Twins ?
Je ne sais pas qui a été rejeté...
Vous avez fait le choix ?
J'étais là parmi d'autres. J'ai écouté ce que m'ont présenté ces trois personnes, Amy Coffey, David Byther et Hiro Nakashima. J'ai eu parfois des disputes avec Annie et elle disait que je devais le faire comme ça parce c'est ce qui était populaire à Londres et que c'est ce qu'elle voulait avoir ! J'ai dit ça c'est bien et si je n'aimais vraiment pas on oubliait ! On n'a pas mis longtemps, mais ce n'est pas MON album. Ce n'est pas MA musique. Je suis responsable en un sens parce que les gens réagissent à ma musique mais c'est la musique de DJ Spooky, de Coldcut… Même si je touche des royalties, c'est leur album autour d'un thème commun : ma musique.
Les artistes avaient la liberté de choisir ?
Ils avaient une liste de morceaux et ils pouvaient choisir n'importe lequel et en faire ce qu'ils voulaient.
Que pensez-vous de l'art du remix ?
Je pense que l'art du remix dépend de la personne qui le fait. Ce n'est pas ce que vous faites, c'est comment vous le faites. Le remix peut être très mauvais ou très bon. Vous savez, je ne connaissais rien à cette musique jusqu'il y a sept ans, à Londres, quand j'ai fait une interview pour le magazine pop Keyboard. Le journaliste m'a demandé ce que je pensais de The Orb et je ne connaissais pas. Alors il m'a donné le CD, et j'ai écouté "Little Fluffy Clouds" qui comporte 30 secondes de "Electric Counterpoint", qui est l'un de mes morceaux. C'est comme ça que ça s'est passé. Mais je n'ai pas acheté d'autres CD par la suite. Chez moi, je n'avais que celui de The Orb quand, en 1996, Hiro Nakashima m'a parlé de cet album de remixes. C'est seulement aujourd'hui que je découvre vraiment ce monde. Jusqu'à cet album, jamais je n'avais rencontré aucun de ces artistes. Un jour, Annie est venue chez moi avec DJ Spooky. Il est venu avec des CD et il m'a présenté son travail. Ce qui m'a permis de le connaître, lui et son oeuvre. Il y a trois ou quatre jours, juste avant de quitter New-York, j'ai donné une interview à un magazine pop en compagnie de Mantronik. On a fait connaissance et il m'a donné quelques conseils pour des logiciels que j'utilise pour composer dans ma chambre d'hotel quand je suis en tournée. Et hier, j'ai rencontré pour la première fois Matt Black de Coldcut, ainsi que D*Note. Je leur ai demandé de me donner quelques CD d'eux pour que je puisse les connaître. Je suis en train de faire mon éducation en matière de techno, mais je n'y connais rien.
Comment avez-vous réagi, il y a sept ans, lorsque vous avez entendu les trente secondes de sample de "Electric Counterpoint" par The Orb ? Vous avez demandé des droits ?
Je me suis demandé s'ils étaient très connus, alors qu'à l'époque ils ne l'étaient pas, et de retour à New York j'en ai parlé avec Nonesuch, où is m'ont dit de laisser tomber ! Sympa, non ?
Etes-vous déjà allé en rave ?
Jamais. J'irais demain pour la première fois de ma vie dans un club techno. J'en ai entendu parler mais je n'y suis jamais allé. Alors que j'étais parti en Allemagne pour travailler, les techniciens ont disparu un soir pour aller en rave et ne sont revenus que le lendemain matin. Ils étaient complètement crevés. On était à Berlin et vous savez, là-bas, on n'est jamais en manque de raves ! Et franchement, demain, je ne resterai que jusqu'à minuit parce que je suis naze et que le vidéaste avec lequel je travaille est furieux que je ne sois pas chez moi pour finir le morceau de "Three Tales" sur lequel on bosse.
Demain, il y aura de l'art multimédia...
Quand j'ai dîné avec Matt Black, de Coldcut, il m'a montré ces visuels qu'il réalise pour les diffuser pendant les shows. Ce qui m'a donné une idée du spectacle proposé par Coldcut.
Que faites-vous en ce moment ?
Je travaille sur "Three Tales", un opéra en trois actes avec de la vidéo. Mais j'ai décidé de faire un break, je crois que c'est bien de pouvoir faire une pause au milieu d'un projet de longue haleine pour s'ouvrir l'esprit. Je suis en train de faire un morceau pour le Kronos Quartet, "Triple Quartet". J'ai fini les deux premiers mouvements que l'on a enregistrés en Californie et je dois y retourner fin avril pour finir le dernier mouvement.
Vous avez commencé à discuter avec Howie B...
Je n'ai jamais rencontré Howie B. Mais j'aimerais beaucoup. Il a réussi à remixer en 10/8 un morceau écrit en 5/8. Les autres morceaux de l'album sont en quatre temps, comme la plupart de la dance music. Ce qu'il a réussi à faire est une performance. Je suis très impressionné.
Avez-vous discuté avec vos remixeurs ? Avez-vous eu l'impression de faire partie de leur culture ?
Je n'ai parlé à aucun d'entre eux avant que l'album ne soit terminé. J'ai rencontré Mantronik il y a trois jours pour les interviews de promotion pour le produit fini ! . DJ Spooky et le Japonais Takamora sont les deux seuls que j'ai rencontrés alors qu'ils travaillaient encore sur leur projet. Takamora était d'ailleurs un peu timide devant mon travail. Je lui ai dit de se lâcher. Son travail est ensuite devenu bien meilleur.
Comment expliquez-vous votre renommée chez les jeunes DJ et musiciens de techno, de trip hop ou de jungle ?
Je vais vous raconter "une petite histoire" (en français dans le texte). A quatorze ans, j'ai découvert le jazz, le be-bop. J'allais au Birdland, le grand club de l'époque, écouter Miles Davis et Kenny Clarke. A 20 ans, j'allais à la Juillard School le jour et le soir j'écoutais John Coltrane. Ca m'a fait une énorme impression. Je n'aurais jamais écrit la même musique sans ces trois-là, et en particulier John Coltrane. On change de scène et d'époque. En 74, j'étais à Londres pour donner un concert et un jeune type avec cheveux longs et rouge à lèvres est venu. Il m'a dit : comment vous allez, j'adore votre travail, je m'appelle Brian Eno. Trois ans plus tard, en 76, à Berlin, je donnais "Music for 18 Musicians" et David Bowie était là. Et j'ai pensé : "C'est une bonne chose. C'est une justice poétique. Jeune, je m'inspirais de Davis et Coltrane, et aujourd'hui, à l'approche de la quarantaine, j'inspire Bowie et Eno. C'est bien, c'est ainsi que le monde devrait être. Il y a sept ans j'étais à Londres et j'écoutais The Orb. Et je pensais : "Ces types ont 10 ou 15 ans de moins que Bowie et Eno. C'est une génération différente. Et ils trouvent dans ma musique quelque chose de complètement différent et d'interessant. Et ça me fait plaisir. Aussi plaisir que d'inspirer Michael Nyman ou John Adams, compositeurs que j'aime beaucoup. Ils s'inspirent aussi bien de moi que de Terry Riley et La Monte Young. Certains tel Bartòk n'ont jamais eu cette chance d'être reconnus. Je trouve très intéressant de pouvoir influencer des gens, plus jeunes, dont beaucoup appartiennent à d'autres genres musicaux que le mien, comme la scène progressive rock des années 70 par exemple. Je m'estime très chanceux. Je me sens utile. Alors, à part la célébrité, la fortune et l'argent qui sont des trucs sympas il y a aussi et surtout la satisfaction particulière d'être reconnu par les gens de votre domaine. C'est formidable, et à cause de ça je me sens bien le matin en me réveillant.
Pourquoi vous et pas Pierre Boulez ?
(rires) Pierre Boulez a influencé toutes sortes de musiciens. Il ne jouait pas de percussions quand il avait quatorze ans. Je ne sais pas pourquoi moi j'en jouais. Dieu, peut-être... Je pense que l'on naît comme ça. Je suis sûr que si on mettait des électrodes sur la tête et qu'on analysait l'ADN, on trouverait un ADN caractéristique pour des gens comme Brahms et Wagner (rires)... Mais le fait est que j'écoutais du jazz quand j'étais jeune, et que je suis devenu percussionniste. J'étais intéressé par Stravinsky, par Bartok, par la musique rythmique, mais pas par Brahms et d'autres compositeurs du même type, même si j'étais obligé de les écouter.
Et Berio ?
Berio est plus intéressant parce que plus "down" (lent ou déprimé). Il a été mon professeur, et j'ai beaucoup appris de lui. Je vous explique la distinction que j'essaie d'établir. Vous savez, traditionnellement, la musique classique d'Europe occidentale, dans la période baroque et même plus tôt, est rythmique, elle a un rythme régulier. Au point que les musiciens peuvent jouer du Mozart ou du Haydn sans conducteur. Pourquoi ? Parce qu'il leur suffit de suivre le rythme juste comme ça, 1, 2, 3... Par contre, on ne peut pas procéder de cette façon avec une symphonie de Mahler ou de Brahms car ce n'est pas comme ça que ça fonctionne. Ce n'est pas le même rythme, c'est le rythme d'un grand geste, ça respire amplement… C'est de la musique de génie. Mais ça ne m'intéresse pas. Ca ne m'a jamais intéressé et aujourd'hui, à 62 ans, ça ne m'intéresse toujours pas.
Debussy ?
J'adore ! Pas parce qu'il swingue si fort mais parce qu'en terme d'harmonie c'était un grand génie. Wagner a mené à Schoenberg qui a mené à Boulez et Stockhausen, et Debussy a dit : on n'a pas à laisser de côté les clés et les harmonies, il faut juste les travailler d'une façon différente, plutôt "changeantes et vivantes" que "mortes et terminées". Alors pour moi et pour la plupart des musiciens, Copland, Barber, Phil Glass, tous ceux de ma génération, la musique française a eu une importance considérable. Mais c'est peut-être moins crucial pour John Adams car il est plus jeune, et qu'en viellissant il devient de plus en plus Allemand !
Pourquoi cette importance des Français ?
Quand j'étais jeune, j'allais au cinéma, et c'était quoi le cinéma en terme de musique ? Une arnaque, du Ravel ou du Debussy retouché par un musicien de troisième ordre de Hollywood qui imitait les derniers morceaux de ces grands compositeurs. George Gershwin, que j'admire, était très proche de Ravel. Ecoutez le "Concerto pour piano en Sol Majeur" de Ravel, il sonne très Gershwin et ce n'est pas un hasard ! La French Connecton était très importante aux USA..Charlie Parker adorait l'impressionnisme francais, et ça s'entend. Même Thelonious Monk, on entend dans sa musique qu'il aime Debussy.
Eric Satie ?
L'influence de Satie est encore plus directe parce qu'il est plus proche de votre genre "musique populaire". Je l'écoutais quand j'étais à la fac. Cage a fait beaucoup pour que Satie soit reconnu. Toute la musique minimale vient entièrement de la French Connection et je peux vous donner des exemples techniques : l'harmonisation d'une même mélodie comme dans le début du "Prélude à L'après-midi d'un Faune" : la mélodie de la flûte reste la même dans un registre moyen mais la basse change car elle est fonctionnelle : la basse est la couleur. Personne n'avait jamais pensé auparavant que la basse puisse donner la couleur, alors maintenant quand j'écris un morceau je pense toujours : Je suis en do dièse ou en la majeur, on verra ! "La partie fonctionnelle devient la partie-clef, et tout cela vient des impressionistes français, alors toute la musique qui m'interessait est devenue populaire en France plus vite qu'en Allemagne.Il y avait un lien entre la musique americaine et celle qui venait de France. Stravinski fut une grande influence aux USA, il ne venait pas de la tradition allemande. Maintenant, les érudits prouvent que "pam pam la di pam la la la", c'est une tradition russe ! Non ! Non ! Non !
Même chose avec Bartòk ? Sa musique était inspirée de la culture, du folklore magyar qu'il a longuement étudié, tout comme vous avez été inspiré par la musique africaine puis par votre propre culture juive...
Bartòk a beaucoup étudié Richard Strauss et Liszt mais il a aussi découvert Debussy, alors voilà ma théorie : Bartòk n'aurait jamais pris la liberté d'adapter ces implications harmoniques hongroises si Debussy n'avait pas dit : "Vas-y, fais-le, ça n'a pas besoin d'être une harmonie chromatique tempérée". Debussy est le sésame ouvre-toi de Bartòk, sans lequel il aurait été plus proche de Strauss. Il y avait comme deux parties en guerre à l'intérieur de cet homme et je crois que Debussy a joué un rôle crucial dans sa vie. La différence entre la musique de la génération de Debussy et la mienne, c'est que Debussy pouvait l'entendre, nous, nous pouvions aussi la jouer, ce qui donne une autre impression de sa propre musique...
Vous avez par exemple joué du gamelan en Asie ?
Juste en amateur, mais même une petite expérience, vous voyez comment ça marche. Debussy l'a compris, et evidemment en a tiré quelque chose. Pour ma génération il est devenu possible d'étudier cette musique de la façon dont on étudie Scarlatti, en allant sur place. Là-bas, si je voulais j'avais un cours par jour !
Et la technologie ? Les boucles ? Les samples ?
J'ai commencé très tôt parce que mes premières oeuvres connues du public étaient "It's Gonna Rain" et "Come out" et qu'elles utilisaient des bandes en boucle. Beaucoup de gens utilisaient les boucles à l'époque, mais le mérite de ce type d'approche revient bien sûr aux partitions de musique africaine… Pendant l'été 62, lorsque j'étais élève de Berio, la classe est allée au festival de Hawkhide, Californie du Sud, créé par Stravinski, et Schuler y était. Il était en train d'écrire une histoire des débuts du jazz aux USA et il nous a dit qu'il avait découvert un livre contenant des partitions précices de musique africaine. Je l'ai compulsé à la bibliothèque de Berkeley et dans les notes il y a ce qu'on appelle du 12/8 : des sequences répetitives de 3, de 4 de 6 mises ensembles pour que le temps frappé ne tombe pas au même moment. L'analogie avec les boucles était frappante. Beaucoup de gens gravitaient autour de ça, Terry Riley s'en servait également. C'était dans l'air du temps.
Vers la fin de 1960 ?
Non dès 1962-63, mais vous ne pouvez pas imaginer ce qu'était, à l'époque, la force de l'idée fixe (en français), le pouvoir de la musique sérielle qui dominait la musique academique américaine. Alors le soir je voyais Coltrane et je me sentais schizophrène car le jour j'étudiais et le soir jécoutais Coltrane et j'essayais de l'imiter. Finalement, quand je suis sorti de l'école, j'ai réalisé que je n'avais pas été au conservatoire parce que j'aimais Bach ou Stauss, mais parce que j'aimais le Jazz...
C'est là on l'on retrouve la naissance de ce qu'on a appelé la musique répétitive ou musique minimale. Est-ce juste, comme on le lit souvent, de dire que La Monte Young était véritablement le père ou le grand-père de tout ce courant musical dont vous êtes devenu l'une des deux ou trois figures majeures ?
Oui, c'était le premier. En fait j'ai entendu le trio à cordes de La Monte avec Phil Grass à Juillard en 1959 et on a tous ri ! En 1957 ou 58, Terry Riley était aussi à Berkeley et commençait à expérimenter les tons longs retenus en se focalisant sur les sur-tons, à observer le résultat obtenu en maintenant les tons longs pendant longtemps. Il écrivait de la musique sérielle comme tout le monde à cette époque et La Monte a eu un effet énorme sur lui. Terry a quitté la Californie en 1961-62 pour l'Europe, il a joué dans des cabarets, il a voyagé, et il a rencontré Chet Baker et a réalisé ses premières expérimentations sur cassettes. Lorsqu'il est revenu à San Francisco, on habitait dans la même rue et il m'a dit qu'il travaillait sur un morceau et c'était "In C". Moi je travaillais sur des improvisations dans le style 12 tons, j'avais regardé les trucs africains, travaillé sur les boucles, et on a monté la première performance de "In C". De mon côté, le résultat de tout ce bouillonnement, ce fut ma pièce "It's gonna rain". Je suis retourné à New York en septembre 1965 et j'ai tout de suite rencontré Arthur Murphy avec qui je suis allé à Juillard et John Gibson qui était venu à l'Est pour un moment , on a formé mon premier groupe et en 1967 on a fait un concert à Park Place Gallery, une galerie d'art minimal qui exposait Robert Smithson, Robert Mars, et c'était là que tout le monde trainait, j'entends toute la scène artistique de l'époque. Uptown il y avait Stockhausen et Boulez, et Downtown, John Cage. Alors je n'y allais pas, je préférais trainer avec des peintres et des sculpteurs. On a joué "Come out", Phil Glass est passé par-là et on a échangé nos points de vues, il m'a fait écouté son quartet à cordes, qui tendait vers son style sans y être encore complètement. On a joué ensemble mais ça manquait encore de clarté, puis il écrivit "1+1", et là j'ai dit : Bravo, ça y est, tu l'as le système ! Et le deuxième morceau s'appellait "Two Pages for Steve Reich", devenu depuis "Two Pages", et voilà c'était l'histoire du Minimalisme an 01. Dix ans après, John Adams apparaît et secoue les boucles ! Mais revenons au début de l'histoire... Mon groupe a fait une série de concert au Musée Guggenheim : New Music from California, London and Toronto. Puis Michael Nyman m'a arrangé mon premier concert à Londres où je l'avais rencontré alors qu'il ne composait pas du tout car il detestait la musique sérielle de Stockhausen. En tant que critique, il a écrit "Experimental Music", et il m'a arrangé ce concert au ICA à Londres en 1971. Puis un an après on a fait "Drumming"" à Londres, mais je n'avais pas les moyens d'amener 12 musiciens, alors on a fait avec des gens sur place en sus de quelques américains, on y trouvait par exemple Michael Nyman et Gavin Bryars, et et avec ce groupe anglo-américain on a joué "Drumming" à la Hayward Gallery, un musée d'art qui exposait le premier show de Rothko. C'est marrant, on ne parle pas du tout de l'album des remixes, mais ce sont des histoires intéressantes, non ...
Des labels s'intéressaient à ce type de musique ?
Il faut comprendre que ce que je viens de décrire, dans les années 60, constituait un changement radical de scène, comme si l'on debarquait de la lune ! Notre travail était relié au jazz, à de la musique non occidentale. Quand je suis arrivé à Paris, autour de 1971, j'ai été signé par un petit label qui n'existe plus, Shandar, qui avait quelques liens avec le grand galeriste Adrien Maeght. C'était après Columbia et avant Deutsche Grammophon. Sinon, mon premier concert à Paris eu lieu au Théatre de la Musique, qui n'existe plus je crois. Puis il y a eu "Music For 18 mucicians" joué à la salle Wagram.
Michael Nyman a été sur Obscure Records, le label de Brian Eno, autour de 1975.
C'était beaucoup plus tard. En 1973-74, j'ai enregistré "Drumming" avec Deutsche Grammophon, puis "Music for 18 musicians" a été enregistré ici à Paris, au Studio Des Dames, un studio pop. Et à cette époque, Bob Hurwitz, qui dirige Nonesuch maintenant, dirigeait ECM aux USA, alors c'est sorti sur ECM.
Il y a une plage mystérieuse, non mentionnée sur l'album de remixes, un titre invisible en numéro 10, non annoncée sur la couverture...
Oui, on a eu des mots quant à inclure ou non ce remix. Alors on a trouvé la solution : en fire une sorte de "morceau-mystère" comme c'est courant dans le techno, et ce fut un hit à Londres. Au début je ne l'aimais pas tellement, mais je l'ai réécouté plusieurs fois, et bon, ca va !
Le titre d'Andrea Parker est quant à lui très noir, très sombre mais plutôt réussi...
Celui là je l'aime bien, ce fut une surprise totale. Je ne connaissais pas beaucoup sa musique mais j'aime ce coté lent et ténébreux. Je n'entends même pas mon morceau ! C'est complètement son morceau, son humeur, et il y a juste une petite couleur qui vient de moi. On m'a dit que sa musique était assez comme ça. Ce qui m'a plu, c'est que c'était très différent de ce que les gens pensent de la dance music.
Mantronik ?
Oui, c'est simple ! "Drumming". Ca ressemble à de la batterie ! !
N'y a-t-il pas une raison simple à la réussite de ces remixes : le rythme, qui a pour vous une importance fondamentale, et qui est au centre de toutes les musiques de la nouvelle génération digitale, de la techno au hip hop ?
Tous mes morceaux ne sont pas comme "Drumming". Ils n'utilisent pas toujours la batterie; la répétition, l'usage des boucles et les éléments tirés de musiques non traditionnelles donnent l'interêt du morceau. On revient au fait que, quand j'avais 14 ans, j'étais batteur, et ça ressort d'une façon ou d'une autre ! C'est à l'intérieur de moi, et si la musique africaine crée une certaine vibration, et que j'y suis très sensible, cela fait partie de ma personnalité musicale comme sans doute de celle des jeunes qui maintenant s'y intéressent. Pris comme ça, c'est normal qu'ils en arrivent à moi. Mais jamais personne n'aurait pu le prévoir, et ils auraient pu m'ignorer totalement.
Le morceau de Coldcut qui ouvre la compilation ?
Ca m'éclate d'entendre ce gros beat lourd que Coldcut a mis derrière "Music for 18 Musiciens". L'original et le remix, et donc j'imagine Coldcut et moi appartenons au même univers, à une banlieue différente de la même ville !
Mais votre musique, au contraire de celle de beaucoup des musiciens dont on parle, n'est pas vraiment faite pour danser...
Non, mais pensez au menuet, à la gigue, à Bach... Tout était basé sur un format propre à la danse, même s'il était très formel au 17ième siècle. C'est comme ces chanteurs dans les années 50 qui faisaient des arrangements de scat avec Ella Fitzgerald...
Pourquoi parlez-vous de Bach à propos de votre musique et de celle de ces jeunes artistes de l'album ?
Parce que ca marche ensemble, ça appartient à la même famille de musique. Je n'ai jamais rencontré un seul musicien de jazz qui n'ait pas écouté Bach. Il est la carte de crédit universelle dans un certain monde musical. Parce que c'est un génie, sans hésiter je dirais le plus grand compositeur de tous les temps, c'est incroyable que le même être humain ait pu composer autant de morceaux si géniaux. A son époque, d'ailleurs, il était plutôt connu comme improvisateur que comme compositeur. Il était organiste. Sa technique est très similaire à celle des musiciens de jazz, surtout dans la période be bop où l'on jouait de longues séries de changements d'accords, avec un rythme fixe, utilisant le contrepoint et l'harmonie, étant capable de jouer dans n'importe quelle clef. Puis le fils de Bach lui-même a trouvé cela démodé, et ils se sont uniquement préocupés d'accord et de mélodie, c'est le début de la musique classique avec Mozart et Haydn à travers les siècles jusquà ce que Stravinski dise : revenons à Bach. De fait, Bartòk lui aussi utilisait beaucoup les contrepoints... Au fond, j'ai plus appris de la musique occidentale du 13ième siècle à 1750 que de 1750 à 1950, à l'exception peut-être de Debussy. Mais entre les deux il y comme un trou. Debussy était un génie et j'aime certains de ces morceaux, mais ce n'est pas le propos de ma musique, ce n'est pas en m'inspirant de ces deux siècles que j'ai appris à me servir de mes outils.
Ce n'est donc pas un hasard s'il y a aujourd'hui un retour important au baroque, notamment chez les jeunes ?
Non, il y a eu ce groupe de chanteurs de type baroque, Anonymous 4, qui a été un grand succès. Toute cette musique devient populaire, c'est génial ! Personne dans les compagnies de disques ne voulait y croire, et ils s'y précipitent tous désormais. Mais il y a une explication qui est peut être spirituelle : on est si avancé au niveau technologique qu'il y a un trou à l'intérieur de nous. Musicalement, on pourrait dire que c'est ce qui correspond à notre Histoire. C'est une grande boucle qui a mis du temps à joindre les deux bouts. Notre époque ressemble peut-être à l'époque baroque...
Vous-même, vous êtes revenu à votre propre tradition juive après vos voyages en Afrique, non ?
Quand je suis allé en Afrique, hormis l'apprentissage musical, je suis revenu en me disant : c'est fou ! Ils n'écrivent pas la musique, c'est la mère qui enseigne à sa fille et le père à son fils, et pourtant la musique perdure. Leur musique est une musique de vie, pas une musique d'Art; si quelqu'un meurt quelqu'un naît, et s'il y a un nouveau chef ou un mariage on écrit un morceau. J'ai été élevé chez des juifs réformés : pas d'hébreu, pas de connaissance de la Bible, pas de connaissance du tout d'ailleurs, juste un petit côté culturel du style vous êtes juif, vos parents sont juifs et c'est horrible, etc. A trente ans, comme beaucoup de gens à l'époque, je me suis interessé au yoga, à la méditation transcendentale bouddhiste, puis à l'Afrique en 1970. Il y avait toujours un trou en moi, et je venais juste de rencontrer Beryl, la vidéaste que j'ai ensuite épousée. Je me souviens d'une anecdote : je tenais le livre "Kabbalah" sous mon bras, j'allais rencontrer ses parents, et son père, qui n'est pourtant pas un grand professeur, me dit : comment peux-tu étudier la Cabbale sans avoir étudié la Torah. La Torah, c'est le nom juif des cinq premiers livres de la Bible. Et il continue : comment peux-tu comprendre toutes ces choses mystiques complexes si tu n'en connais pas le fondement ? Alors je suis allé à la synagogue où j'ai reçu une très bonne éducation, et je me suis attelé à l'histoire des religions. Ce qui est intéressant, c'est qu'on fait quelque chose, on s'assied dans une certaine position, on a un régime spécial, on s'étire le dos, on respire différemment, on contrôle sa conscience ce n'est pas uniquement une question de foi; le judaïsme est une religion de l'action et j'ai incorporé ceci dans ma vie, ce qui n'est pas toujours très pratique en tournée ! Et le trou se bouche ! En définitive, partir pour l'Afrique fut mon pas pour me retrouver; dans ses livres, Castaneda parle du point de chaque individu, et moi j'ai trouvé le mien ! Alors maintenant, parlons de l'album de remixes !
Votre prochain opéra, c'est "Three Tales" ?
Cet opéra regarde le 20ième siècle surtout en termes de technologie, parce que je me sens concerné ! Nous nous y intéressons tous, vous aussi. Les trois pièces sont : Hindenburg (début du 20ième); Bikini (1946), début de la guerre froide, Bikini, c'est la 4ième bombe à avoir explosée sur l'ilôt de Bikini, et les Américains avaient invité les Russes pour leur montrer leur puissance, pour les impressionner; enfin, la troisième pièce s'appelle Dolly, du nom de cette Brebis fin du siècle née grâce au génie génétique, et Dolly est vraiment un prétexte pour parler du génome humain, des gènes du corps et de la création d'êtres vivants à partir de rien, avec ce côté "Blade Runner"... Comme vous, je me sens concerné par les nouvelles technologies. J'ai réalisé que je pouvais identifier ma techno-perte et peut-être tenter de la maîtriser, de la délimiter. Mais, entant qu'espèce, pourrions-nous tirer une ligne ? Avec la Bombe, les gens ont pris conscience qu'ils pouvaient se détruire, et maintenant nous avons plein de façons différentes de nous détruire, ou tout du moins de nous changer radicalement. De nos jours, on entend que l'on peut faire pousser des haricots pour avoir un nouveau foie, un nouveau coeur, et nous n'aurons qu'à les récolter. Une ferme d'organes sous-humains, vous imaginez ? Si ça existait, quelle sorte de personne imagineriez-vous pour diriger cette ferme ? Vous riez, mais au MIT de Boston, j'ai parlé avec un homme connu qui travaille sur l'intelligence artificielle, Marvin Minsky, et il m'a dit très sérieusement que nous n'aurons pas à mourir puisque nous pourrons changer nos morceaux défectueux pendant aussi longtemps que nous voudrons; et si pour une raison quelconque un des morceaux ne marche pas, nous prendons des electrodes, nous les mettrons sur nos cerveaux, nous prendrons chaque pensée, chaque émotion, tout, et on le téléchargera sur une disquette, on le mettra dans un robot et nous pourrons vivre à tout jamais. Et il le croit vraiment, Minsky. Ces idées viennent d'ailleurs d'un autre scientifique encore plus fou, Hans Moravec...
Je le connais, j'ai lu son bouquin, et c'est clair qu'il est complètement fou...
C'est ce qu'ils appellent la physique réductionniste : vous n'êtes qu'information, et si on peut garder une information on peut VOUS garder. Ces chercheurs forment le noyau dur d'une grande partie de la communauté scientifique, très sophistiquée, très puissante, bien-fondée, même s'il y en a d'autres qui ne pensent pas comme cela. C'est le thème de Dolly. Sans faire un cours, on doit faire une pièce de théatre musical. Ceci soulève une question qui devra être religieuse. Si vous lisez le début de la Génèse, une partie de la population s'est soulevée pour s'opposer à cette idée. On a donné à l'homme le pouvoir de domination sur les animaux, et c'est vrai que nous avons ce pouvoir, qu'on en veuille ou pas, mais c'est une responsabilité que nous avons. Certains disent que nous violons la Terre, qu'on la détruit parce qu'il est dit dans la Génèse que l'homme a ce pouvoir. Et comme nous avons ce pouvoir, nous l'utilisons. Il me semble que ce pouvoiir est si énorme, si démesuré que ceux qui expriment leurs sentiments religieux sont considéres comme fanatiques ou dangereux, et il est vrai que certains le sont. L'homme acquiert des savoirs de plus en plus complexes et dangereux, puis ils les appliquent. Pouvons-nous continuer à agir ainsi ? Pouvons-nous agir différemment ? Je ne sais pas. Je pose des questions.
Mais nous-mêmes, comme Marvin Minsky, nous utilisons tous les jours des nouvelles technologies sans pour autant avoir l'impression de détruire le monde. N'y a-t-il pas une autre façon, mieux intégrée, d'utiliser la technologie ?
Personnellement je n'ai aucune sympathie pour le travail de Marvin Minsky, mais je réalise en le disant qu'il y a une contradiction : on peut avoir çi ou ça mais pas faire çi ou ça, peut-être sommes-nous ici pour faire cette distinction, mais dans l'Histoire des sciences personne ne s'est dit : on ne devrait pas faire ça. Comme si la science avait un pouvoir propre, nous la suivons là où elle nous emmène, et quand nous voyons le résultat c'est trop tard, l'éclatement de l'atome et la création de la bombe, et maintenant le séquençage du génome et son utilisation, qui va contrôler ? Peut-on contrôler ? Si un mec dit : je m'en fous du gouvernement américain, je veux cloner ce millionnaire parce qu'il le veut, qui sait quoi d'autre demain ? Une armée de différents soldats ? Retour à l'opera ! Tous les matériaux sont près, la pièce Hinderburg est prête, les documentaires filmés qui remontent à la Première Guerre Mondiale et à la mort d'Hindenburg et au début du parti nazi sont là... Beryl utilise le programme After Effect, c'est sur un seul écran et c'est magnifique. Pour Bikini, il y a toutes les archives, vous savez que ce fut l'événement le plus filmé à cette époque, on voit tout un tas de choses qui sont testées pour voir si elles résistent à la bombe atomique. Ce qui est central dans la vidéo, ce n'est pas l'explosion, c'est tout ce qu'il y a autour, des trucs auxquels on ne pense même pas.
Aujourd'hui, vous vous sentez comme un compositeur de musique classique ?
C'est une question de mots ! Vous savez qui je suis, je sais qui je suis et le reste n'est que recherche de vocabulaire. J'ai étudié à Juillard, on jouait Beethoven, Bach, et je vis dans un monde où quelques-uns le font toujours. Les gens, pas forcément les mêmes, font aussi de nouvelles musiques. Il y a des jeunes qui passent par les Conservatoires de leur propre pays, qui deviennent des musiciens classiques, mais qui écoutent aussi du hip-hop... J'ai arrété d'écrire pour orchestre en 1987 parce que je ne veux pas 18 violons jouant la même note mais un violon seul, jouant cette note, et pour l'equilibrer un micro dessus parce que je ne peux pas obtenir le résultat que je veux avec tous ces musiciens; rythmiquement, c'est trop lourd d'avoir 18 violons, ça ne bouge pas assez vite. Et je l'ai appris en écrivant pour orchestre, et je ne crois pas que ces morceaux soient mes meilleurs...
Vous ne parlez pas de "Desert Music" ?
Non, "Desert Music" est une des meilleures pièces que j'ai écrit, 4 sections ça va, 3 mouvements ça va...
Pourtant vous avez fait pas mal de musiques pour grand orchestres ?
J'essayais de faire quelque chose parce que je m'interessais à toutes ces différentes combinaisons mais le plus gros problème venait de la section corde. Et sur "Desert Music", je les ai samplées ces sections de corde. L'orchestre est organisé avec de petits groupes de cordes à gauche, au centre, à droite et au milieu, et on a deux vibraphones juste devant le chef d'orchestre, et des micros sur les instruments à cordes, et on va le faire à New York où il y a une retrospective de ma musique au Lincoln Centre en juillet. David Robertson dirigera le dernier concert. Le premier concert sera dirigé par Anna Theresa. On jouera The Cave, un nouveau morceau et "Drumming" en entier. Dans l'orchestre dirigé par David, le St Luc Chamber, il y aura juste 13 cordes : un musicien par partie. Et j'espère que cette version commencera à être jouée plus souvent, car elle est bien meilleure d'un point de vue acoustique...
Et que pensez-vous du rapport entre votre travail et celui d'un DJ ?
Une fois, j'ai entendu dans une radio de fac un truc de DJ et ça durait, ça durait, c'était super, et au moment où l'étudiant qui devait complètement planner a annoncé qui c'était, je n'ai pas pu entendre. Et je me suis dit que tous ces gens n'étaient pas attachés au format "chanson", même pas aux paroles, alors j'ai imaginé, et ça existe peut-être, qu'un jour un musicien passé par une formation classique, et qui écoute de la techno, va vraiment fondre les deux mondes en de grands morceaux, mais je n'y crois ps trop. C'est vrai que des gens m'envoient des cassettes, en particulier dans la musique contemporaine, mais 99% sont mauvaises ! C'est pourquoi je dis aux gens de me donner les CD de leurs compositions, notamment techno, et comme ça je me fais mon éducation !
Et le sampling ? A priori, vous ne samplez pas des musiques mais d'abord des sons de la vie de tous les jours, des paroles, des sons de machines...
Ce que les DJs font la plupart du temps, c'est sampler d'autres musiques, et moi ça ne m'interresse pas de le faire. Mais je ne m'interesse pas uniquement aux personnes qui sont comme moi ! En fait j'utilise des samples d'instruments sur mon ordinateur quand je compose pour faire un modèle du morceau pendant que j'y travaille, et j'envoie une copie pour obtenir les partitions sur une cassette Midi. Ainsi les musiciens en tournée peuvent l'ecouter et jouer dessus, et ils entendent toutes les autres parties plutôt que de jouer seul. Je n'en utilise pas en concert, ou sinon pour apporter quelque chose qui n'est pas dans l'orchestre. Voilà un bon parrallele : dans la 3ième scène d'Hindenburg je cite du Wagner, j'emprunte l'un de ses morceaux, mais j'avais enfin une bonne raison de le faire parce que Beryl avait des enregistrements des personnes qui avaient construit le zeppelin. Je ne sample pas la musique, je la vole et je la ré-orchestre. C'est une vielle tradition de la musique classique de citer d'autres oeuvres : au Moyen-âge ils utilisaient des chansons populaires comme base pour la messe, la difference c'est que tous utilisaient des instruments alors que pour les DJ c'est plus facile : on enregistre et on combine, mais le principe est le même. Pour les droits d'auteurs il n'y avait pas de problèmes pour utiliser ceux qui étaient morts, pour les autres je ne sais pas, mais maintenant chaque grognement de James Brown coûte de l'argent ! Et je crois que c'est juste.
Une dernière question à propos du titre DJ Spooky, pour clôre sur l'album de remixes ? Ne fait-il pas du Boulez avec du Reich ?
A la fin du morceau il cite l'ouverture de "City Life", mais c'est entièrement son oeuvre, il utilise l'idee mais à sa facon, au travers de sa vision de la musique. En fait je préfère d'autres morceaux qui ont un beat solide derrière, mais j'admire son morceau parce qu'il a sa propre logique musicale, ça n'a pas grand chose à voir avec moi ; j'ai le rôle du caméléon ! Il a travaillé un moment avec Xenakis, il a un pied dans le monde de la musique contemporaine et un pied dans le monde des DJ, et il est, intellectuellement, très excité par la multiculture. Je l'imagine devenir professeur à l'Université dans quelques années...
Propos recueillis par Vincent Borel et Ariel Kyrou
Traduction : Nathalie Paynot
Photo : Alice Arnorld (Warner classics)