Interview : Propellerheads

FEVRIER 98
Le "freestyle funk" d'un duo explosif qui navigue entre le groove électrique, le beat électronique et les violons à la James Bond 007

Les étiquettes collent mal aux Propellerheads. Depuis leurs débuts il y a deux ans, ils sont fidèles au label phare du "big beat" : Wall of Sound. Mais attention : ne leur dîtes pas qu'ils sont cousins de Prodigy. Non, Will White et Alex Gifford parleraient plutôt de "freestyle funk" ou de "groovy tunes". Le premier a 24 ans, et le second 33 ans. Pour la petite histoire, Alex Gifford a joué du piano avec Van Morrison, du sax et autres broutilles pendant six ans avec les Stranglers et quelques autres petites choses avec le duo techno The Grid... Mais aujourd'hui, l'ambiance est au funk et à la soul version John Barry - compositeur des films de James Bond. Il y a eu quelques maxis groovy en diable tels "Dive" (repris pour une pub Adidas) ou "Take California", jusqu'au hit "On Her Majesty's Service" en Angleterre, à la fin de l'année 97, plus doux, suave et surprenant...Il y a maintenant un album qui confirme tout le bien qu'on pensait du duo : avec "Decksandrumandrockandroll", Will White et Alex Gifford signent une belle collection de titres plutôt dancefloor où le funk d'antan fait merveilleusement ménage avec le futurisme techno. Entretien avec Alex, heureux et souriant porte-parole du duo britannique.

J'ai impression que malgré votre réputation et le titre de l'album, "Deckandrumsandockandroll", votre musique sonne franchement plus funk que rock.
Oui, vous avez tout à fait raison, c'est vraiment là que se trouvent nos racines. Bon, c'est sûr qu'on est passé par pas mal de genres différents et que nos influences sont tout de même plus vastes, mais le funk est définitivement présent. C'est vrai que l'on nous rattache beaucoup à Prodigy et aux Chemical Brothers, et je le comprends parfaitement. Tous ces groupes sont assez éloignés de la house et de la dance classique, et pourtant ils sont tous différents. Alors que les autres groupes big beat ou techno-rock deviennent de plus en plus durs, nous penchons plus naturellement vers le funk.

Justement, de quelle famille funk vous sentez-vous le plus proche ? Roots, P-Funk, electro-funk, tendance Prince.
Le P-Funk sans aucun doute. Et puis tout ce qui se rapproche au rhythm and blues au sens classique du terme, dans le style Booker T & The MG's. Celui des années 60 bien sûr, pas le R&B actuel. Le P-Funk de Parliament et Funkadelic a un côté très sexy qui nous convient bien. Quant à Prince, désolé, je n'ai pas l'impression qu'il ait eu une quelconque influence sur ma vie personnelle (rires).

Le P-Funk avait un côté à la fois jouissif et sauvage sur scène, c'est aussi le cas pour vous ?
Ca dépend du morceau que l'on joue. Certains sont assez complexes et ne peuvent pas vraiment évoluer sur scène, d'autres permettent plus de libertés. Nous avons une manière très particulière de jouer live. On utilise une paire de platines où nous jouons nos propres morceaux. Nous pouvons ainsi les remixer en direct, les mêler ou les enchaîner avec des parties sur lesquelles nous voulons jouer ou improviser. A l'aide de la batterie par exemple, mais aussi l'orgue ou la basse ou pourquoi pas même la "human beatbox". Vous voyez donc qu'on se sert aussi de tout un attirail rock'n roll (sourire). Certains morceaux sont 50% live d'autres 100%. On ne peut pas se permettre de tout programmer, on a vraiment besoin de ce type de flexibilité.

Est-ce que l'album laisse lui aussi une plus grande part aux instruments live qu'aux machines ?
Oui, toujours, tout simplement parce que c'est plus rapide à jouer ! Les sections rythmiques mélangent un véritable batteur et de vieux breakbeats samplés qui apportent une saveur tout à fait différente aux morceaux. Le fait qu'on puisse ainsi éternellement sampler un beat, qu'il soit pressé sur vinyle puis à nouveau échantillonné, donne vraiment une qualité particulière au son. Quant à la basse, elle est jouée. Mais c'est une vrai mixture en fait, c'est difficile à décrire et à disséquer de cette manière. Il y a une totale interpénétration entre les éléments programmés et joués.

Mais vous avez aussi le goût pour les cordes 60's et 70's, celles des grandes musiques de film, à l'image du morceau "On Her Majesty's Secret Service".
Absolument. Hormis la technologie actuelle, l'orchestre reste tout de même le générateur de son le plus incroyable jamais inventé par l'homme. Rien ne peut égaler ni son émotion ni son pouvoir. Nous avons eu beaucoup de chance de travailler avec David Arnold là-dessus. Vous savez, il a dirigé cette pièce orchestrale rien que pour nous ! En fait il a réenregistré le morceau original de John Barry avec un orchestre de quatre-vingt cinq musiciens. Il nous a envoyé par la suite une DAT que l'on a simplement samplé. Et nous on s'est juste pointé pour faire notre petit truc funky là-dessus (sourire). Mais nous avons aussi travaillé sur des morceaux tels que "Bring Us Together" qui ont une saveur très orchestrale. Il y a là un sens de la texture sonique que l'on ne peut pas obtenir différement, qui porte un vrai sens du drame et de la romance.

C'est carrément du luxe pour vous
Oui, un orchestre comme ça coûte au moins 40 000 livres par jour donc on a eu pas mal de chance. David Arnold vient aussi d'écrire la musique du dernier James Bond, "Demain Ne Meurt Jamais" et on a écrit ensemble la musique d'une des scènes. J'ai même eu à jouer dessus le célèbre thème de 007 à la guitare. Si vous allez voir le film et que tout à coup quelqu'un se lève en hurlant, c'est sûr c'est moi en train de m'exciter sur la bande-son (rires).

L'album est par ailleurs très dancefloor, mais à quel scène appartenez-vous ? Où jouez-vous ? Les soirées de votre label Wall Of Sound, les parties big beat, les clubs "rare groove".
On a joué un peu moins récemment à cause de nos différents enregistrements. Mais c'est vrai qu'on a fait pas mal de tournées avec l'équipe de Wall Of Sound. Il y règne un véritable esprit de famille. Mais ce qui est marrant c'est qu'on a pu jouer dans des endroits assez incroyables. D'ailleurs, on n'aime pas trop prêcher les convertis, c'est beaucoup plus drôle d'essayer de jouer dans des clubs rock qui ne sont pas trop habitués à notre son, ou d'autres lieux tout à fait inatendus. Le live, c'est une part indispensable de notre boulot et la plupart des morceaux présents sur l'album ont été travaillés lors de jam sessions sur scène.

Ces soirées, telles que les Back To Mono au Blue Note londonien, sont très connues pour leur éclectisme, du funk à la house en passant par le hip hop.
Absolument. Et lorsque l'on fait le DJ, on joue tout ce qui nous passe par la tête. Si vous jetez un coup d'oeil dans mon flycase, vous trouverez de tout, de Motorhead au hip hop. La seule chose à laquelle on croit, c'est la bonne musique. Du moment que les gens dansent, ça nous convient.

Vous faîtes pas mal d'interviews, on parle de vous partout, dans la presse rock comme les magazines techno. Vous êtes prêts à faire face au succès que l'on vous prédit ?
Vous savez, contrairement à ce que l'on pourrait penser, le succès n'est pas venu d'un coup. Depuis deux ans et la sortie de nos premiers maxis, ça marche plutôt bien. Et puis j'ai joué pas mal avec les Stranglers et le succès public ne me fait pas peur. Mais c'est vrai que les Propellerheads, c'est un projet plus personnel. Bon, Will a moins d'expérience dans ce domaine. Ca va être plutôt intense mais je pense qu'on va devoir dealer avec. De toute façon on se laisse porter et on va essayer de garder le sourire.

De toute façon, vous faîtes partie d'une génération électronique qui arrive plutôt bien à éviter les dangers qui guettent les pop stars traditionelles.
C'est marrant aujourd'hui de parler de pop stars traditionelles. Vous avez raison, c'est souvent le cas avec ces musiciens de home studio. La différence, c'est que nous sommes avant tout des musiciens de scène. Et ce genre de musiciens a besoin du public, de son amour et de son soutien. Et tous ceux qui disent le contraire sont des menteurs.

Propos recueillis par Jean-Yves Leloup
Photo : D.R