Interview : Basement Jaxx
BASEMENT JAXX

Le garage techno-punk d'un combo explosif qui fait danser Brixton


Après avoir sorti une palanquée de maxis conçus comme des mini albums et révolutionné la house anglaise, en la tirant tantôt vers le garage new-yorkais (house garage) ou bien vers les frissons brésiliens (nu house), les deux Basement Jaxx, Simon Ratcliffe et Félix Buxton, sortent leur premier album en forme de pierre de touche de la house anglaise : "Remedy". Un album étrange et désorientant qui retrouve les sources à la fois du punk et du ska ("On my Radio") pour mieux les tirer vers l'inconnu. Ils y gagnent une nouvelle étiquette, "le garage punk", avec des sons très sales et un groove envoûtant. Nous avons rencontré les docteurs Ratcliffe et Buxton pour qu'il nous expliquent leur remède, qui déjà fait un malheur... Entretien.


C'est votre premier album, mais vous avez déjà une longue carrière derrière vous. De nombreuses fêtes, des dizaines de maxis et même quelques tubes.
Basement Jaxx : Si l'on a traîné avant de sortir cet album, c'est que tous les différents maxis que l'on a réalisés par le passé peuvent être considérés comme des sortes de mini-album. On n'a jamais voulu se contenter de sortir quelques morceaux de house traditionnelle, quelques chansons agrémentées de versions instrumentales et de remixes, mais quatre titres différents, aussi bons les uns que les autres. On avait cette approche très "album" dès l'origine, mais on ne se voyait pas vraiment comme un groupe qui puisse ainsi bâtir une carrière sur le long terme.

L'album est composé de manière assez habile, les morceaux s'enchaînent bien les uns les autres, il n'est pas trop long, vous avez l'air d'avoir passé du temps là-dessus...
On a produit à peu près une trentaine de morceaux à la base, dont on n'a gardé que le meilleur, les autres morceaux finiront par sortir sur notre propre label indépendant Atlantic Jaxx.

L'album me semble entièrement inspiré de l'énergie de la fête, du live, des jams.
On pratique en fait assez peu les jams. Seule exception, le morceau "Jump'n Shout", avec ce MC qui avait à la fois le style et les paroles qui nous plaisaient. La raison pour laquelle l'album sonne très jam, c'est parce qu'en club, on se lâche, on se laisse aller, on est plus relax. L'idée est vraiment différente des autres soirées house. On se contente de jouer des disques, de bons disques, et si quelqu'un veut venir et prendre le micro, il est libre de le faire. Ceci dit, la musique sur l'album ne fonctionne pas tout à fait de cette façon, ça n'a rien à voir avec du simple freestyle, on se prend pas mal la tête. Chaque morceau demande beaucoup de temps, on travaille dessus jusqu'à ce que l'on soit satisfait, et puis après, basta. Mais si "Remedy" te donne cette impression d'énergie libérée, c'est génial. Cette puissance n'est rien d'autre que notre propre énergie qui file à travers les disques, le club et notre musique. Et puis, l'album est avant tout destiné au dancefloor, la connexion est donc évidente avec l'univers du club.

Il y a donc cette énergie, mais aussi cette pratique du chaos : ces sons inopinés qui finissent toujours par intervenir au cours d'un morceau.
Disons que l'on compose des paysages musicaux pour un monde moderne. On vit à Londres, c'est une ville bruyante, animée, le trafic, la télé, la pub, l'Internet. Tu es constamment bombardé. Notre musique est le reflet naturel de notre environnement. De plus, on n'est pas vraiment des musiciens, on ne pratique que les machines. Or la musique qui nous inspire, c'est celle des vrais musiciens, ceux qui sont capables de produire des choses tout à fait hallucinantes à l'aide de leurs instruments. On est donc poussé à utiliser le plus possible nos machines pour pouvoir récréer toute une palette d'émotions différentes. On se doit de faire fonctionner notre imagination le plus possible, transgresser les règles, utiliser tous les bruits et les sons que l'on peut avoir à notre disposition, histoire parfois de flirter avec les extrêmes.

Chez vous, en Angleterre, vous semblez à l'écart de tout le réseau classique des superclubs, de la house des superstars.
On essaye de rester à l'écart de tous les groupes et toutes les coteries. Ca permet de garder une certaine fraîcheur. Il y a eu une époque où l'on a beaucoup voyagé, joué et mixé dans des clubs du monde entier. Chaque week-end, on était dans un endroit différent. Mais à la longue, on finit par se répéter et se conformer à une idée toute faite de la house. De retour en studio, on s'était ainsi mis à produire des morceaux destinés uniquement aux dancefloors, pour être mixés, car tout le monde nous avait fait la remarque que c'était plutôt difficile de danser sur notre musique. On a, de cette manière, et ce malgré nous, fini par brider toute notre créativité. C'est donc bien, parfois, de rester à l'écart des clubs et des dancefloors. Et puis c'est une manière de conserver son identité, d'approfondir son travail. Bon, on a bien joué dans quelques gros clubs comme le Ministry of Sound, on n'est pas totalement contre, il y a un bon sound-system, on nous a laissé faire ce qu'on voulait, c'était bien mais ça restera juste une soirée. On n'a pas l'intention de devenir les nouveau Roger Sanchez ou ce type de grands DJ américains qui passent leur temps entre tous les clubs de la planète. On n'a pas envie de devenir de vrais "pros", des routiniers du mix, comme le sont beaucoup d'autres DJ.

Votre club au Sud de Londres, du côté de Brixton, est très réputé. C'est loin du centre et il y règne une atmosphère spéciale, multiculturelle, la faune y est même réputée assez incroyable.
On a lancée la soirée il y a vraiment longtemps, à l'époque où personne ne nous connaissait. C'était même pas du tout hype. Jouer à Brixton, ça veut effectivement dire que l'on rencontre des gens très différents. Tout a commencé avec un public plutôt cool, blanc et middle-class, auquel est venu se rajouter de grands rastas plutôt dealers, et même parfois des poivrots qui ont fini par faire peur à tout le monde. Par la suite, tout cela a fini par se mélanger. Quant à la musique, on a toujours joué sans compromis, sans essayer de copier les autres clubs. On ne s'est jamais pris la tête et le message a toujours été : "on fait la fête, et si vous voulez venir, n'hésitez pas". Ce qui est dommage, c'est que récemment le club est devenu un truc très à la mode, les gens venaient parce qu'ils avaient lu quelque chose dans un magazine et s'imaginaient dans la soirée la plus top. La spontanéité d'origine a fini par se perdre et cette atmosphère imprévisible et borderline a disparu. Le temps était donc venu de faire autre chose, d'arrêter le club.

Il y a sur votre album des chansons à la fois étranges et drôles, qui ne ressemblent à rien de connu. Y a-t-il des anecdotes particulières à propos de certaines des chansons comme "Yo-Yo" ou "Don't Give Up" ?
Les paroles de "Yo-Yo", "You're a profit from above, you came & suck my blood", sont inspirées d'une histoire qui m'est arrivée avec une française. Une fille très belle, très glamour, mais qui a essayé de me piquer tout le fric que j'avais sur moi. Par la suite, les paroles disent "my pain became my strenght, I am reborn, I am deaf not dumb", là, c'est beaucoup plus hip hop dans l'esprit. Ca veut dire que l'on tiendra toujours le coup, que l'on parvient toujours à surmonter ses difficultés.

Et "Don't Give Up" ?
On a commencé ce morceau à un moment où on se posait pas mal de questions sur l'album : "Putain, mais où est-ce qu'on va ?" C'était très tendu. On analysait un peu trop les choses, on se perdait en tergiversations. Ce morceau, c'est une manière de dire qu'il faut toujours croire en soi. C'est d'ailleurs le propos de tout l'album. N'analysez pas trop, laissez vous porter, sinon vous finirez par tourner en rond. Vivez votre vie, jouissez du moment présent et n'abandonnez pas. Avec le nouveau millénaire qui approche, pas mal de gens se posent un peu trop de questions. En Angleterre, la club culture a eu un grand impact sur toute la jeune génération, beaucoup sont passés par là, ont pris des drogues et finissent toujours par se poser ce genre de questions. Les drogues, ça permet de s'ouvrir l'esprit, mais le problème c'est que ce n'est pas toujours facile à gérer. Alors, cet album, c'est une manière de dire : tout est OK, tout va bien, ne paniquez pas. Et puis si vous faîtes de la musique, ne vous occupez pas trop de tout ce que l'on dit autour de vous. A nos débuts, on nous a conseillé d'arrêter tout de suite la musique, ou au moins de faire remixer nos morceaux, mais bon, on a tenu le coup.

Quant à "Same old Show", le morceau sample un vieux morceau ska (Selector), c'est une forme d'hommage, une simple reprise ?
C'est un sample dont le morceau original fait directement référence à une partie de notre vie, de notre histoire, ça a quelque chose de spécial, ça apporte une touche d'"attitude" au morceau. Et puis c'est un peu comme toute l'histoire de la dance-music : "same old show", toujours la même histoire. Enfin, c'est une manière d'apporter une petite touche anglaise à notre musique finalement très influencée par la house américaine, qui est une musique très classe, cool et sexy. Le sample a quelque chose de très prolo anglais, assez impur, pas sophistiqué du tout, anti-cool, c'est une attitude très punk-garage finalement. La base du morceau est traditionnellement house-garage mais avec une attitude très anglaise.

Punk-garage, c'est une drôle d'expression, ça semble même très bien vous convenir ?
Il semble que toute notre musique puisse être labellisée ainsi. Un morceau comme "Everybody Be Somebody" de Ruffneck (Masters At Work, NDR), c'est du pur punk-garage. "Spin Spin Sugar", le morceau remixé par Van Helden aussi, tout comme pas mal de morceaux en provenance de Chicago. Le punk-garage à un côté plus "fucked-up" que le son new yorkais. Comme sur notre morceau "Red Alert", c'est du garage limite, borderline, très cru, excitant. C'est son côté punky qui nous plaît et qui en même temps désoriente l'auditeur. Ca nous convient parfaitement.

Propos recueillis par Jean-Yves Leloup
Photo : D.R.