Interview : Herbert


La révélation de l'année, esthète de la house délirante et jongleur de bruit : sampler et sans reproches !

Showman invétéré, agitateur de dancefloor, trublion sonore, innovateur de bazar, aficionado deep-house, bruitiste convaincu, Matthew Herbert, c'est un peu tout ça à la fois. Mais c'est aussi un artiste de génie qui signe avec son nouvel album "Around The House" un vrai chef d'oeuvre d'audace et d'harmonie. Un disque magique dont on est fou fou fou. Depuis le début des années 90, on connaît cet artiste finaud mais rigolard sous une pléthore de pseudos : Herbert, Doctor Rockit, Wishmountain, Radio Boy, etc. Grand sampleur devant l'éternel, Herbert se réjouit de tous les sons, les plus quotidiens comme les plus inouïs, qu'il enregistre grâce à un Mini-Disc qu'il ballade en toute occasion. Les clapotis de l'eau du bain, les cliquetis d'un talon-aiguille, les crissements du gravier, le roulis d'un torrent sont enregistrés, archivés, samplés, mis en boucle et mis en groove. Le résultat ? Une house sautillante, sensuelle et pointilliste, mais aussi des collages sonores étranges et séduisants, ou encore des variations arythmiques des plus déviantes. Autant dire qu'il s'agit là de l'un des artistes les plus inventifs du moment, non seulement bidouilleur de studio mais véritable clown musical qui n'aime rien tant que la scène où il fait sonner bouilloire, paquets de chips, machine à écrire, bouteilles en plastiques et autres godemichets soniques. Evénement et interview obligatoire. Avec Mini-Disc bien sûr.




Y-a-t-il eu un moment dans ta carrière où tu as vraiment pris conscience du nouveau champ sonore qui s'ouvrait à tes oreilles ?
HERBERT: C'est arrivé assez tôt en fait. Quand j'ai commencé à composer, je sortais déjà beaucoup, et j'essayais de produire des titres dancefloor. Le problème, c'est que je n'avais pas accès aux machines, aux boites à rythmes… Tout ce dont je disposais, c'était un sampler et un séquenceur. Lorsque j'ai commencé à sampler des sons concrets, le son de ces objets frappés, entrechoqués, j'étais littéralement fasciné, comme un gamin. C'était marrant pendant un moment, mais pas plus que ça. Lorsque j'ai commencé à me produire sur scène, les gens pensaient que j'essayais d'être drôle, de faire le rigolo, alors que c'est quelque chose d'autrement plus sérieux. Mais je ne vais pas demander aux gens de ne pas rire. Ma technique de sampling reste aujourd'hui l'une des bases essentielles et indispensables de mon travail. Ce n'est pas un gimmick, c'est même beaucoup plus important qu'une simple bonne idée.

Ce qui est étonnant, c'est que l'origine des sons que tu utilises devient de plus en plus inconnue. Elle perd de sa valeur au profit de la seule texture du son.
Tout à fait, mais c'est une évolution dont je n'ai pas eu vraiment conscience. Mis à part le projet Wishmountain, les morceaux de Radioboy, Herbert ou Dr Rockit utilisent des sons difficilement identifiables. Et d'ailleurs je ne vais pas m'amuser à révéler mes sources. J'espère que les auditeurs bâtiront leur propre petite histoire autour de ça. Il n'y a rien de plus intéressant que d'exciter la curiosité du public.

A propos du choix de ce nouveau pseudo, Radioboy, cela veut-il dire que tu investis un nouveau champ d'expérimentation sonore ?
Wishmountain est un projet que j'ai mené de 1992 à 96, il correspond à une seule et même idée que j'ai essayé d'explorer sous tous les angles. Radioboy, c'est une manière de me forcer à aller dans une nouvelle direction, à me remettre en question. Disons que je mets l'accent sur la façon d'enregistrer les morceaux. J'utilise pas mal de sons différents que j'assemble pour composer une première base. Puis j'enregistre huit versions différentes du même morceau sur un magnéto huit pistes. Et je peux m'amuser à "muter" les différentes pistes et obtenir un nombre infini de versions. Je tends vers l'abstraction, en utilisant des sons de plus en plus bizarres, incongrus, et de façon complètement hasardeuse. C'est-à-dire impossible à répéter de la même manière, que cela soit sur scène ou en studio.

Tu n'as jamais eu peur d'être enfermé dans un système sonore, d'utiliser le même gimmick à l'infini ?
Non, parce que je garde une grande ouverture d'esprit. J'ai étudié la musique classique à partir de l'âge de quatre ans et, par la suite, j'ai toujours été autant intéressé par la pop que par Stockhausen par exemple. J'essaye de parvenir à un certain équilibre… Disons qu'une musique peut être intéressante sans sonner vraiment bien, et vice-versa. Je reste l'oreille aux aguets donc, je n'ai aucune idée préconçue, je suis curieux de nature.

Un téléphone mobile sonne. On se regarde, amusés...

Voilà un son auquel tu ne ferais pas attention normalement.

Puis un son de radio, une musique, façon polka endiablée. Rires...

Et tu as remarqué le couinement de la porte du resto. Incroyable !
Oui, tu as raison, ce sont des choses auxquelles on ne prête pas toujours attention. A propos de l'usage de la voix sur ton nouvel album, "Around The House", c'était un nouveau défi ? Est-ce que tu la traites comme un son "ordinaire" ?
Oui, c'est une sorte de voyage que je débute à peine. Quand j'ai commencé à composer, j'écrivais essentiellement des chansons. Le chant a toujours été quelque chose de très naturel pour moi. Le problème, c'est que ma voix n'est pas formidable. Mais je n'ai pas envie de juste faire un morceau instrumental et poser des paroles dessus, sans autre forme de procès. Ce que j'ai fait sur "Going Round" par exemple, c'est incorporer la voix au même titre qu'un instrument. Sur "So Now", le premier single extrait de l'album, j'ai samplé une dizaine de mots que j'ai mis en boucle. Puis Dani Siciliano est venue chanter par la suite dans les espaces laissés vacants par la musique.

Il n'y a ni vers ni refrains ?
Non, mais tout reste basé tout de même sur le concept de chanson. C'est quelque chose que j'étudie depuis longtemps. C'est-à-dire le "songwriting" des 20's, des artistes tels que Cole Porter, qui ont vraiment écrit des standarts jazz éternels. Mais attention, je ne veux pas non plus faire de la musique rétro.

Mais Dani Siciliano ne se contente pas de chanter, il y a parfois des sons vocaux très ténus, des respirations, des bribes d'hésitation, des soupirs.
Oui. D'ailleurs à ce propos, il existe un nouveau programme avec énormément de mémoire qui permet d'enregistrer sur disque dur tous les vocaux d'une même chanson. Par la suite il suffit d'appuyer sur un simple bouton qui actionne un filtre et enlève toutes ces hésitations. Les souffles perdus, les "ha", les "clic" et les "buzz"
Tiens, la porte couine encore (on entend le bruit de la rue, NDR). Un duo pour porte et voitures ? Wouiiiink-Vroooomm (rires).
Donc ce programme nettoie tous les vocaux et rend tout absolument clean. Ce que j'ai du mal à comprendre de toute façon parce qu'en utilisant un micro dans un studio on capte plein de petits sons intéressants, comme tu es toi-même en train de le faire avec ton mini-disc. Ce sont des accidents qui font partie du processus créatif. Ce genre d'accident, c'est comme un cliché, sur l'instant, d'un processus créatif. Les bruits participent à l'événement, à la situation, à l'atmosphère. C'est autrement plus intéressant qu'un programme numérique de nettoyage.

Ces derniers temps, on t'a vu sur scène. Tu as un rapport très intime avec le public. Est-ce que, au fil du temps, ta relation avec lui a évolué, s'est intensifiée ?
J'ai fait le "Wishmountain Show" pendant trois ans et j'avais fini par créer tout un personnage, avec son costume, son comportement et ses mimiques. Mais tout ça m'a lassé. Je voulais me remettre en question. Le nouveau "Radioboy" show est plus proche de mes ambitions, je suis en train de le développer, c'est une sorte de work-in-progress permanent. Et puis c'est sur scène que l'on peut juger à la fois de la vraie valeur des artistes et de ses propres travaux.

Est-ce que tu gardes de la place pour l'improvisation ?
La musique de Radioboy, comme je te l'ai expliqué, est composé de façon à laisser beaucoup de place au hasard. C'est un processus qui me permet de rester en éveil, en alerte constante. Dans le nouveau spectacle, je réalise des samples en direct, je peux aussi travailler plus librement sur le rythme et les claviers. Je ne sais jamais vraiment quel son va sortir, quel sample je vais obtenir. C'est déjà pas mal mais je veux encore plus me remettre au hasard et à l'impro. Mais dans ce cas, j'aurais besoin d'une ou deux mains de plus...

Mais est-ce que tu te sens encore attaché à la dance-music ou tu t'en t'éloignes de plus en plus ?
Jy suis de plus en plus attaché. Mais plus au niveau de l'idée, de l'essence, que de simples règles qu'il faudrait respecter. J'aime le langage précis et pointu de la house, sa clarté et cette répétition inéluctable des motifs. C'est comme en peinture, avant de peindre, tu définis le thème, la taille du tableau… Il y a quelques règles basiques qui te permettent après d'exprimer toute ta créativité.

Ton travail de DJ reste toujours aussi important ?
J'essaye de jouer un peu moins et de visiter de nouveaux endroits. Parce que c'est toujours un compromis. Je me retrouve tout simplement à jouer de la house classique. J'adore ça mais ça ne changera pas la face du monde (rires). Ca reste une bonne manière de rencontrer des gens, de recharger ses accus et de faire naître de nouvelles idées, et même de faire face aux critiques, ce qui est toujours profitable.

Mais en quoi mixer de la house constitue-t-il un compromis ? Il n'y pas de honte à être DJ !
Non, mais disons que mon ambition est maintenant de jouer les trucs les plus bizarres possible, tendance Wishmountain, au milieu de disques house classiques. Comme si j'essayais de faire naître une nouvelle idée dans la tête des gens, comme si je venais y planter une petite graine.

En matière de live et d'électronique, est-ce qu'on n'est pas un peu dans l'impasse ? Entre les déhanchements racoleurs de Prodigy et les tourneurs de boutons coincés, personne n'a vraiment inventé quelque chose de nouveau. Tu es l'un des seuls à chercher de nouvelles issues.
Pour moi, il n'y a pas de meilleur environnement qu'une grande salle sombre équipée d'un énorme sound-system et remplie de gens dans un état… second… en pleine forme, quoi ! Il est tard, il y a une certaine concentration, le son est au maximum et c'est pour moi un superbe défi. C'est vrai que j'aimerais voir d'autres artistes penser un peu mieux leur live, leur prestation scénique. Mais je respecte toujours ceux qui pratiquent la musique nue, sans artifices. Et puis c'est là l'un des traits essentiels de cette musique, qui peut se permettre d'exister hors de toute ornementation, de tout désir de paraître. Mais c'est vrai que cette question du live me taraude sans cesse. Peut-être que d'ici cinq ou dix ans je serais pleinement satisfait du résultat. Pour l'instant, ça reste un défi, ou, au mieux, un voyage.

Propos recueillis par Jean-Yves Leloup.
Photo : Pierre-Emmanuel Rastoin.


Discographie : Herbert, "100Lbs" (Phono-import 1996), "Around the house" (Phono Style / EMI 1998)
Dr Rockit, "The Music of sound" (Clear-import 1996)
Wishmountain, maxis vynils (Phono)
Radio Boy, maxis vynils (Phono)
Présence sur la compil "It's all becoming clear" (Clear-import 1996)