Interview : Richie Hawtin
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Retour vers le futur
Pionnier de la techno
américaine resté insatiable en matière de haute technologie,
Richie Hawtin (aka Plastikman) a décidé de relancer le mythique label
+8, en stand by depuis 1997. Créé en 1989 aux côtés de John
Acquaviva, +8 a révélé la rave music des origines, que les deux
vétérans canadiens vous proposent aujourd'hui de (re)découvrir
via leur propre sélection de Classics. Back to the roots.
Il y a, derrière la compilation Classics, une
dimension historique et didactique qui devrait satisfaire toute la
génération techno qui a pris le train en marche.
Richie Hawtin:
En
effet, il y a de très vieux morceaux qui sont restés introuvables
depuis leur sortie, à tel point qu'aujourd'hui certains collectionneurs
seraient prêts à sortir des centaines de dollars pour racheter le
maxi original. Avec la réédition de nos anciens titres, on met une
vingtaine de classiques à portée de toutes les oreilles, pour le prix
d'un CD. Je suis sûr que les technophiles de la première heure seront
ravis de retrouver des titres qu'ils ont entendus dans leurs premières
raves, d'autant qu'à l'époque, ils ne savaient pas forcément qui
se cachait derrière.
Te souviens-tu toi-même des premières galettes que tu as
achetées pour mixer ?
Richie Hawtin:
Hormis
les tout premiers morceaux d'acid-house de Chicago, je mixais surtout des trucs
"pré-techno" : Front 242, Kraftwerk, New Order, ce genre de choses.
À la fin des années 80, je trouvais que les labels de Detroit
fonctionnaient trop en autarcie, c'était un vrai ghetto. Je mixais
régulièrement au Shelter (club de la Motor City, ndlr) mais je
m'intéressais moins à la pêche chez les disquaires du coin
qu'à la découverte des boîtes à rythmes. En revanche,
j'étais déjà fan de Kevin Saunderson et Kenny Larkin, avec
qui j'ai enregistré mes premiers morceaux. Ce n'est qu'un ou deux ans plus
tard, après avoir entendu les sets de Jeff Mills à la radio, que j'ai
vraiment eu envie de me mettre à mixer techno.
Y-a-t-il un vieux morceau mythique que tu aurais aimé sortir
sur +8 ?
Richie Hawtin:
(Après réflexion) sans doute le Red Planet N°3,
signé Stardancer. À l'origine, c'était un mec d'Underground
Resistance. Ce disque avait fait un carton à Detroit.
Quelles étaient les premières ambitions de +8 quand vous
avez fondé le label ?
Richie Hawtin:
Je
n'avais pas 20 ans quand on a démarré +8 et tout ce qui
m'intéressait à l'époque était d'avoir sorti mon premier
disque avant mon vingtième anniversaire. On a sorti "Elements Of Tone"
avec John et je me suis senti mieux. Ma petite crise égotique étant
passée, on a pu s'attaquer aux choses sérieuses en s'ouvrant aux
autres artistes. Tout a vraiment commencé avec le "Rubbernotes" de Kenny
Larkin.
On connaît l'importance des concepts dans tes créations.
Y a-t-il un concept derrière +8 comme il y a un concept derrière
Plastikman ou ton label M-Nus?
Richie Hawtin:
Oui,
il m'a toujours semblé indispensable d'ajouter des idées à la
musique électronique si tu ne veux pas sombrer dans l'abstraction la plus
impersonnelle. Aujourd'hui, la plupart des artistes ont leur propre label, sur
lequel se développent des artistes qui monteront bientôt leur propre
label. La production se multiplie ainsi de façon exponentielle, alors il
est devenu capital de se démarquer, de trouver le truc qui te fasse sortir
du lot. Les concepts sont un bon moyen de donner un sens à ce que tu fais.
Quand on a lancé +8 en 1989, l'idée était de rassembler des
artistes de différentes nationalités qui faisaient progresser le son
de Detroit. À l'époque, la plupart des labels américains ne
sortaient que des productions américaines, les Anglais ne sortaient que
des disques british, les Français que des disques français, etc. +8
est né à l'écart de Detroit, ce qui nous a permis d'adopter une
vision moins nombriliste de la techno, en signant des artistes venus du monde
entier. Speedy J, Kenny Larkin, Ken Ishii, John et moi-même. On a tous
démarré sur +8.
Le label et vous-mêmes avez fait du chemin depuis. Cette
vision cosmopolite et globale de la techno peut-elle encore suffire à
démarquer le label aujourd'hui ?
Richie Hawtin:
Non,
on en est bien conscients. +8 a servi de tremplin à des artistes qui sont
désormais reconnus mondialement. Le label a rempli sa mission et tous ces
musiciens n'ont plus besoin de nous maintenant. Je souhaite juste relancer +8
pour le plaisir, en prenant mon temps, d'autant que John ne compte pas se
réinvestir avec moi. Le label tournera sans doute au ralenti, puisque
j'envisage de ne sortir qu'une poignée de disques triés sur le volet.
Désormais, +8 sera focalisé sur les productions "dancefloor" qui
témoigneront d'une réelle originalité, ce qui limitera sans
doute naturellement la cadence des sorties. Le concept aujourd'hui, c'est
"let's twist again", mais différemment. --Propos recueillis par
Stéphanie Lopez