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Au programme d'un festival des Inrockuptibles plus éclectique que jamais, St-Germain met du jazz dans sa house et tente de concilier, sur scène, programmation et improvisation.
Quand
Ludovic Navarre compose avec un ami ses premiers
morceaux, en 1991, il n'est encore qu'un
informaticien passionné de musiques qui découvre
dans la techno une rencontre bouillonnante
entre musiques afro-américaines et culture
informatique. Souvenirs d'une ère déjà lointaine
:
" En France, il n'y avait pas de scène
techno, pas de presse, pas de promo, un tout
petit circuit, quelques soirées où les DJ
venaient avec des disques comme on amène
une bonne bouteille chez des amis. On a fait
de la musique électronique plus par amusement
que par métier, et pour cause : en France
ce métier n'existait pas. "
C'est en Belgique
qu'un producteur s'intéresse d'abord au bonhomme.
Quelques maxis 45 tours font leur chemin
dans le circuit des clubs, et titillent les
tympans des " originators ", les inventeurs
de la techno, à Détroit. Peu après, avec
Shazz et Laurent Garnier, il rejoint la Dance
Division de la FNAC Import, premier label
du genre en France.
" Produire de la musique
est alors devenu notre métier. On n'inventait
rien, on a d'abord suivi les traces des maîtres
du genre pour acquérir une légitimité. "
Ludovic
Navarre rêve pourtant déjà d'autre chose
:
" Ce que j'avais envie de faire depuis
le départ, c'était de marier la house, la
techno, avec l'acoustique, un peu comme Lil'Louis
(pionnier de la house de Chicago - NDLR)
qui mettait du sax dans certains titres...
"
Progressivement, Ludo imprime sa marque,
enrichit ses programmations de samples de
jazz, de funk ou de blues. On croise par
exemple la guitare de Lightnin'Hopkins sur
Alabama Blues. Mais c'est en 1995 que, désormais
sous le nom de St-Germain, il concrétise
son projet. Pour l'album Boulevard, il recrute
une équipe de musiciens de jazz. Une première
:
" Aucun musicien en France ne voulait jouer
cette musique. Il aurait fallu les recruter
aux Etats-Unis mais c'était trop cher. J'ai
fini par rencontrer un trompettiste intéressé,
qui m'a présenté un sax, puis un pianiste.
Ils ont accepté par gentillesse. Ils ne connaissaient
pas la house, pour eux Dance Machine, c'était
de la techno... Quand je leur ai fait écouter
ce qui me plaisait, tout s'est arrangé, ils
ne connaissaient tout simplement pas la bonne
house. "
Boulevard est probablement l'un
des albums français les plus marquant de
la décennie. Dès 1995, il se détache insolemment
des clichés de la production house et dance
de l'époque : son registre rythmique s'étend
du dub au funk et à la house, la boîte à
rythmes se glisse avec élégance dans un chabada
jazzy, l'instrumentation virevolte entre
machines électroniques, flûte traversière,
cuivres et claviers seventies.
" La scène
techno me saoulait, on était en pleine vague
de la " dance " à deux balles, avec des tempos
à 150 BPM, des lignes de basse et des claviers
pas terribles. Ça devenait une industrie.
J'étais sur le point d'arrêter. Mais un voyage
à New York m'a fait réaliser que les plus
grands DJ, les Masters at Work, Todd Terry,
appréciaient ma musique. Alors j'ai décidé
de faire cet album exactement comme je l'entendais.
Si je me plantais, au moins j'aurais essayé.
"
à la fois ambitieux et immédiatement séduisant,
cet album vaudra à St-Germain une renommée
internationale et contribuera à étendre sensiblement
le cercle des amateurs de musiques électroniques.
Peu
après le succès de Boulevard, St-Germain
s'éclipse.
" Les rapports étaient tendus
avec mon label (F Communication - NDLR).
L'enregistrement d'un album avec des musiciens
était un projet inhabituel pour un label
électronique et quand il a fallu penser à
faire de la scène, ça ne suivait pas non
plus. Ça devenait décevant... "
Il faudra
attendre l'an 2000 pour voir réapparaître
St-Germain avec un contrat sur le prestigieux
label de jazz Blue Note, et un nouvel album,
Tourist, qui poursuit l'exploration d'une
musique hybride, entre électronique et acoustique,
groove et ambiances easy-listening, house
et jazz, avec cette élégance caractéristique
dans le métissage des sons, des registres,
des époques.
Désormais, St-Germain dispose
d'une structure et d'une réputation suffisamment
solides pour lui ouvrir les portes des salles
de concert. La tournée a débuté cet été avec
quelques festivals, puis les salles françaises,
elle se poursuit dans les mois qui viennent
dans le monde entier. Un nouveau défi pour
un artiste qui se dit plus à l'aise dans
son studio qu'en public. Sur scène, Ludovic
reste discret derrière un énorme pupitre
d'appareils électroniques. Il laisse les
instrumentistes (saxophone, flûte traversière,
trompette, claviers, percussions, batterie)
assurer le " show ". Résultat, une formule
inclassable qui se rôde au fil des dates.
" Nous avons encore des progrès à faire,
nous confiaient Ludovic et son saxophoniste
Edouard Labor après une récente prestation
à Marseille. Concilier électronique et acoustique
reste un enjeu délicat. Ce qui nous plaît,
c'est de réussir à toucher un public extrêmement
éclectique, de revenir à l'esprit festif
des débuts du jazz, de faire primer la sensation
sur la performance... "
Guillaume Bara