Interview : Gerald SIMPSON
A Guy Called Gerald Rencontre sur les nuages avec un ange de la jungle

Pionnier de l'acid-house grâce à des tubes tels que "Voodoo Ray", ainsi que par sa participation à la première mouture de 808 State entre la fin des années 80 et les premières lueurs des années 90, visionnaire de la jungle quelques années plus tard avec son album historique, planant et vibrionnant de rythmes synthétiques "Black Secret Technology", Gerald Simpson (alias A Guy Called Gerald) reste l'un des authentiques allumés de la génération techno. À l'heure de la sortie de son nouvel album, "Essence", généreux mariage de jazz, de drum & bass, de voix de sirènes et d'atmosphères éthérées, en bref lumineux mais un rien décevant, nous avons surpris l'Anglais en pleine crise mystique. Interview sur la voie lactée.

À l'écoute de ton nouvel album, il est évident que tu t'es largement éloigné des expérimentations de "Black Secret Technology". Tu t'es ouvert à la voix et à une sorte de nouvel humanisme.
GERALD SIMPSON : Travailler sur la voix m'a ouvert de nouveaux horizons en matière d'écriture. J'ai écrit les paroles avec les chanteurs, ou alors j'ai composé la musique d'après leurs paroles, ce qui a renforcé le côté organique de la musique. C'est une toute nouvelle inspiration, une nouvelle manière de travailler. Ça m'a permis de composer des morceaux plus lents, plus aérés, c'est un nouveau monde qui s'ouvre à moi.

Est-ce à dire qu'auparavant, tu avais fini par te sentir seul en studio, face à tes machines. Il était donc nécessaire de retrouver cette "Essence" ?
G.S : J'en étais en effet arrivé à un point où je tournais en rond. Je savais bien que je n'arriverais à rien en poussant plus loin mes expériences passées. Ça devenait purement technique, c'est comme si la communication s'était réduite à de pures lignes de code. On tendait à perdre toute référence humaine. La machine tournait, elle aussi, en rond et finissait par tout gérer. Il a fallu que je me dise : "Bon, ce n'est qu'une machine, et c'est à moi de la diriger ". Il fallait donc que l'élément humain gère à nouveau l'ensemble.

C'est même un album quasiment spirituel, sinon mystique ?
G.S : Oui, c'est ce que j'essayais de t'expliquer d'un point de vue plus technique. Ce que je recherche, c'est la soul : l'âme, c'est-à-dire l'essence. Si tu retires toute la musique de l'album, si tu y enlèves les différents éléments sonores, il en restera toujours une âme, une voix. Il y a une vraie ligne directrice qui court à travers chacun des morceaux. C'est comme un message relayé à travers les âges et auquel cet album participe. Un message d'unité, une énergie globale et humaine qui participe de ce sentiment qui nous englobe tous et nous emporte autre part, dans une autre ou dans une prochaine dimension. Vers l'étape suivante. Disons que l'on peut voir ça comme une sorte de jeu vidéo où tu as différents niveaux. Je crois par ailleurs qu'une fois que nous aurons cessé de nous battre, et je pense que cela finira par arriver, nous atteindrons tous ce niveau supérieur.

Après "Black Secret Technology", tu ne pouvais en fait aller plus loin dans l'introspection technologique.
G.S : Il y a plus de soul dans ce nouvel album, c'est moins dispersé. L'ambition ici, ce n'était pas de réunir quelques sons, quelques bruits, et par la suite les voix des chanteurs. Je me suis d'abord préoccupé des mots, de leurs sens, mais surtout de leurs effets. La façon dont un mot peut te faire réagir, ce qu'il suscite comme émotion. Je me suis donc replongé dans pas mal de bouquins, histoire de connaître l'origine du langage, comment nous avons créé les sons, toujours en étudiant cela d'un point de vue spirituel. À quels chakras, quelles clés cela correspond-il? C'était une nouvelle manière pour moi de considérer les mots et la musique.
D'un point de vue global et circulaire. Quand tu lis un magazine comme "The New Scientist" aujourd'hui, tu te rends rapidement compte comment, dans la physique, tout se tient. Comment, en approfondissant les choses, la science finit toujours par retrouver les grands questionnements spirituels. Il y a un morceau sur l'album, "Scale Circle", qui parle du caractère circulaire de l'univers. Dans cet univers, tu y trouveras de nombreuses planètes, et sur ces planètes, de nombreux rochers, et dans ces rochers, des milliers de molécules composées d'atomes, eux-mêmes composés de quarks, constitués de leptons et, à l'intérieur desquels tu trouveras encore d'autres univers. C'est un cercle infini. Le cortex dans lequel nous évoluons nous donne l'illusion que le monde peut être mesuré, que les lignes sont droites. Mais bon, je m'éloigne. Pour en revenir au son, j'ai essayé de travailler sur une structure de fréquences sonores, des patterns d'ondes alpha qui puissent induire certains effets chez l'auditeur.

Cet album constitue donc une toute nouvelle aventure ?
G.S : Tout à fait. Tu es quelque part, tu ouvres une porte et tout à coup, tu fais face à cet immense espace, libre d'être exploré. J'ai maintenant, par exemple, trouvé des musiciens à New York avec qui je vais vraiment pouvoir travailler. Je ne cherchais pas des gens qui puissent juste jouer d'un instrument. Tu peux faire beaucoup à l'aide de l'électronique. Mais il y a des choses que seul l'homme, que seul le musicien, aux prises avec son instrument, peut faire. Personne ne pouvait par exemple jouer comme Miles Davis ou Jimi Hendrix. Ils contrôlaient parfaitement leur instrument. Il y a une véritable connexion entre eux, leur âme, leur jeu et le son qu'ils obtiennent. C'est ce que je cherche.

Mais, en concert, tu n'hésites pas à jouer tes vieux morceaux de l'époque acid-house, qui datent maintenant d'il y a plus de dix ans. Tu n'as en rien renié son passé.
G.S : Si l'on considère ma carrière depuis ses débuts, je vois tout ça comme une sorte de périple, de voyage, d'apprentissage constant. Je crois que c'est bien de revenir justement à ses origines musicales, de montrer à la fois la simplicité et la beauté des morceaux de cette époque. Il y a cinq ans, je n'aurais sans doute jamais joué des morceaux comme "Voodoo Ray", car je m'étais aventuré dans des contrées autrement plus ténébreuses, ma musique partait dans des directions très lointaines. À un moment, c'est comme si j'avais vu une sorte de petite lumière qui m'indiquait la nouvelle voie à suivre. Je me suis penché sur ma musique, sur tout ce que j'avais pu faire par le passé, et je me suis dit qu'il était temps de retrouver la lumière, de produire une musique plus volontiers lumineuse justement. Une musique qui ait des effets bénéfiques sur ceux qui l'écoutent. Qui les fasse bouger, penser, une musique à la fois plus légère mais aussi plus dense. Disons que cette période de réflexion et de remise en question a dû durer cinq ans, pendant le temps que je résidais à New York.

Mis à part New York, tu as aussi pas mal fréquenté les artistes de Detroit, notamment Juan Atkins, l'un des plus illustres pionniers de la techno ?
G.S : En 1998, je m'étais rendu là-bas pour rencontrer quelques amis, et j'avais pris avec moi quelques disques, histoire de jouer dans les clubs du coin. J'ai rencontré Juan Atkins par hasard et il m'a simplement demandé de faire un remix pour l'un de ses albums. Puis, j'ai croisé Mad Mike d'Underground Resistance, qui est venu faire quelques claviers sur ce remix, tout cela s'est fait très simplement et je suis finalement resté quelques jours de plus. Detroit est vraiment un endroit très spécial. J'y suis revenu cette année pour participer à cet incroyable Detroit Electronic Music Festival. Mais tu ne peux pas juste passer quelques jours comme ça dans cette ville. Je connais plein de gens là-bas depuis environ dix ans, et pour moi, tout est parti de là. Et j'ai été très heureux que le festival ait un tel succès. J'avais, en effet, toujours été très peiné de savoir que ces artistes étaient ignorés chez eux. Mais quand tu sais que, pendant trois jours, le festival a réussi à rassembler plus de cent mille personnes, c'est exaltant.

Ta musique et ton inspiration semblent en effet très proches de celles de ces artistes américains. Un titre comme "Black Secret Technology " aurait pu être choisi par Juan Atkins ou Mad Mike. Ils portent par ailleurs le même intérêt à cet aspect, disons, cosmogonique de la musique.
G.S : Je crois que la première fois que je me suis rendu là-bas, ce devait être en 1990. Et ça faisait bien quatre ans que j'écoutais la musique qui venait de Detroit. J'étais complètement imprégné de cette musique qui, pour moi, représentait la fusion idéale de l'art et de la technologie. Lorsque j'ai sorti mon premier disque en Angleterre, beaucoup de gens ont voulu savoir d'où venait mon inspiration. J'ai donc emmené avec moi une équipe de Granada TV jusqu'à Detroit. Et j'étais très étonné, parce que pour moi, c'était comme à Manchester. C'était exactement la même sensation, les gens ressentaient la musique de la même façon que chez nous. C'était très étonnant de constater que d'autres artistes avaient les mêmes aspirations à des milliers de kilomètres de chez moi, sans se connaître, sans autre connexion que celle de la musique.

Propos recueillis par Jean-Yves Leloup.
Photo: DR. !K7/fireflies