Paul Frankland, artisan de la renaissance de la scène ambient anglaise, est l'un des piliers du label T:me et un nouveau venu au sein de Ninja Tune. Il est à l'origine de deux excellentes formations, Woob et Journeyman.
A première vue, Frankland n'a rien du sorcier-manipulateur de sons que l'on se plaît à imaginer à l'écoute de ses productions. Il n'a qu'une vingtaine d'années, se montre volontiers amical envers les journalistes et serein quant à sa carrière de musicien. Tête pensante de Woob, il vient de mettre un terme à son second album pour la prestigieuse collection Em:t du label britannique T:me. Aux côtés du DJ Colin Waterton, il a signé une poignée de singles ainsi qu'un mini LP pour NTone, division électronique et ambient de Ninja Tune.
Courant 1994, la vague ambient culmine outre-Manche. Mais déjà les envolées planantes inspirées des 70's synthétiques commencent à lasser un public avide de sensations nouvelles. La renaissance dub pointe le bout de son nez, le trip-hop fumeux et atmosphérique gagne ses premières lettres de noblesse et dans les studios londoniens certains s'essayent déjà à une forme de jungle atmosphérique. Le terrain est donc propice à une nouvelle génération de sculpteurs soniques. Woob est remarqué par Mixmaster Morris lors du festival de Wembley et participe la même année à la première compilation du label T:me. Collaboration fructueuse puisque rapidement suivie par la sortie d'un album, imposant Frankland parmi les artisans de la renaissance ambient. Car le mot lui convient parfaitement. Il sait mieux que quiconque décrire et suspendre une atmosphère, mais aussi marier le numérique et l'acoustique. Il excelle dans l'art du sample et sait emprunter chants ou instruments ethniques, sans pour autant donner l'impression de piller les cultures dites primitives, à l'image d'un Deep Forest. Il s'essaye par ailleurs avec bonheur aux percussions tribales, aux profondes basses dub et à la genèse de luxuriants paysages sonores. S'il a pu développer à un tel point ce sens du détail et de la texture c'est grâce au fameux système Roland mis à sa disposition par le label T:me. "Le studio dans lequel nous travaillons à Nottingham est tout à fait unique, mais cela coûte aussi très cher. Le label a fait un effort considérable sur ce point. Vous pouvez vraiment travailler le son de manière tridimensionnelle, même les sons les plus anodins acquièrent une véritable existence".
Mais Frankland n'est pas seulement un adepte des technologies les plus pointues, il sait aussi s'entourer de percussionnistes et de musiciens. C'était justement le défi du second album de Woob. "Après monpremier LP sorti en 94, je me suis dit que ça serait pas mal de faire équipe avec d'autres musiciens, un bassiste, un guitariste, un percussionniste, en tout quatre personnes d'horizons musicaux très différents. Je voulais expérimenter de nouvelles idées concernant la production. Nous avons mélangé jam-sessions et bandes-son enregistrées en plein air. La plupart des morceaux de ce nouvel album proviennent justement de ces sessions. Même si je ne travaille plus avec des musiciens aujourd'hui, le sample représente une grande partie de mon travail. J'essaye de développer le coté live, au-delà des éternelles sonorités électroniques et analogiques, afin de conserver ce côté organique, de doter ma musique d'une sensation aussi 'fresh' que possible".
Pari réussi puisque ce nouvel album constitue un parfait dépaysement acoustique, apte à séduire les plus exigeants des voyageurs sonores.
Lord DAT est l'enfant rêvé d'un dub cosmique et de la technologie numérique. Maître à bord du collectif Digi-Dub et deTranscend, il vient de signer deux albums remarqués chez Incoming et Ninjatune.
Figure de l'underground britannique, DAT s'est éveillé à l'époque enfumée des sound systems du sud-est londonien, bien avant l'explosion acid-house. Mais depuis la répression thatchérienne, l'époque des squatts est définitivement révolue. En guise de réaction notre Lord fonde le studio d'enregistrement Digi-Duben 1989. DAT et ses accolytes se font rapidement un nom au cours des nombreuses soirées qui émaillent la capitale anglaise mais c'est justement l'équipement numérique dont ils disposent qui va leur permettre de garder le contact avec une scène en pleine ébullition. "Vers 1990-91, nous avons accueilli pas mal de groupes hardcore-breakbeat, puis sommes passés à la jungle par la suite, comme Dillinja, Mickey Finn ou Jumpin' Jack Frost, pour les plus connus. Mais nous mixions aussi nos influences dub avec des éléments plus purement techno et nous avions été aussi particulièrement marqué par le hip-hop industriel des Meat Beat Manifesto. Notre son a évolué plus tard vers plus d'éclectisme et de recherches, et nous nous sommes peu à peu éloignés de l'acid house. Depuis le début, nous n'avons jamais accepté les étiquettes réductrices, nous avons toujours voulu échapper aux catégories traditionnelles de la dance-music".
Leur dernier album, "16 Millionths Of An Inch", en référence à la longueur d'onde de la lumière, fait en effet feu de tout bois. Derrière Lord Dat, éternel leader du collectif numérique, chacun apporte sa pierre à l'édifice d'un dub tour à tour technoïde et ambient. Maxime Madness, Mashed, Mudskipper, Styward (son fidèle lieutenant), L.S. Diezel et DJ Orrie Birch sont autant de membres actifs au sein du collectif. L'album décline un dub purement électronique et speedé, sans nostalgie pour les beats léthargiques originels formatés dans les années 60-70 à la Jamaïque. Les adeptes de la rave et de la club-culture se retrouveront sans effort parmi cette collection de 11 singles rassemblés pour l'occasion par l'excellent 'bass-label' germanique, Incoming ! Sur l'album, le groupe s'autorise pas mal d'échappées atmosphériques (la plupart des morceaux ont été selon Lord Dat composés lors de la conjonction d'Uranus et de Saturne), voire ethniques et bruitistes, mais génère une formidable énergie sur scène, comme en témoigne leur toute dernière tournée européenne et française.
Enfant de la club-culture et des sound-systems, ce collectif est l'auteurd'un autre projet, plus passionnant encore, Transcend, édité cette fois-ci chez NTone/Ninjatune. Leur album "2001-2008", plus volontiers ambient, distille un groove plus subtil et aérien, perdu dans les méandres d'un novö-dub cosmique.
Novö-dub, digi-dub, n'y a-t-il pas là un nouveau souffle qui balaye actuellement toute la scène électronique ? "C'estvrai qu'il y a 5 ans, nous étions déjà là-dedans mais nous avions peu de feedback de la part du public, je m'attendais donc un jour ou l'autre, au succès du genre. Mais cela ne doit pas devenir une nouvelle catégorie musicale, un simple 'pigeonhole', oùles musiciens s'y mettent parce que c'est tout simplement la mode. Quelque soit le nom que l'on veuille bien donner à cette musique, elle concerne avant tout l'hybridation, elle rassemble une grande variété d'influence".