Artiste à éclipses s'il en est, Norman Cook alias Fatboy Slim, reste un personnage
controversé de la musique électronique actuelle. Des vaches maigres de la fin des
années 80 aux tubes et remixes millionnaires des dernières années du XXe siècle,
un parcours en looping : du caniveau aux étoiles, comme l'indique le titre de son
dernier album :"Halfway Between the Gutter and the Stars". Entretien avec le
maître du big beat de Brigthon, hier pirate assumé, et aujourd'hui musicien
rassuré, amoureux et lucide. Micro !
Ce nouvel album annonce un retour à la house, ou en tout cas moins de big beat...
Je crois que cet album marque vraiment mon retour à la house. Le truc de Fatboy Slim, par le passé, c'est
vrai, cela a toujours été breakbeat, et cet album marque une nouvelle étape. J'utilise les bases de la house, du rythme 4/4,
mais reste à savoir si on peut encore appeler ça de la house. Tu as donc des morceaux comme"Star 69","Retox", ou
"Song For Shelter"qui est vraiment une sorte d'ode à la house des origines. Ceci dit, c'est vrai que j'ai abandonné pas mal
de gimmicks qui avaient fait mon succès par le passé, les boucles acides par exemple. À quelques rares exceptions près, j'ai
abandonné la TB 303. Cet album est plus doux, tu n'y retrouves pas ce type de son acid"rrrr-rrrrr"que tu avais
auparavant. Disons que la TB303 s'est un peu reposée sur cet album.
Ce qui a en effet fait ta marque de fabrique, ce sont justement tous ces rythmes tapageurs et ces sons saturés...
On dit souvent que j'utilise des sons distordus. Mais je préfère le terme de fucked-up beats. En fait, je commence toujours à
composer un morceau avec le gimmick de base, qui donne tout le côté pop du morceau. Par la suite je construis le titre
autour de ce truc de base et quand j'ai terminé le tout, ça me semble toujours trop soft. Arrivé au mix, je tourne donc tous les
boutons jusqu'à 11, je pousse tout à bout. J'adore tous ces sons crados, ces trucs tordus. Sans ça, je ne vois pas où serait la
différence entre moi et un corniaud comme Robbie Williams. Récemment, j'ai fait écouter mes morceaux avec la chanteuse
Macy Gray à quelqu'un, et cette personne s'est dit que cette chanteuse avait enfin un vrai son, une vraie production. La
plupart du temps, les chanteurs pop se limitent à une production, une musique trop cool et sans aspérité. Mon truc, c'est
donc ça, mettre la musique sens dessus dessous pour lui donner du relief, du style.
Anti-puriste attitude
Tu as souvent été critiqué par les puristes de la house et de la dance music. On disait que tu faisais une musique de
hooligan...
En Angleterre, tout ça est un peu oublié. Parce que la plupart des musiciens savent par où je suis passé, savent que j'ai fait
et que je fais encore de la house, et que je suis là quand même depuis quasiment 17 ans. Ils savent donc que je suis un
musicien avec une certaine intégrité, même si je suis devenu une sorte d'artiste pop international. Mais ils ont raison
quelque part. Avec mon album précédent, j'ai essayé d'atteindre un public qui n'avait pas l'habitude d'écouter de la dance
music. Et c'est vrai que chez le public américain de la house, je représente ce qu'il y a de pire dans la musique, je suis
carrément l'antéchrist pour eux. En gros, ces gens me disent :"comment osez-vous faire écouter Notre musique à d'autres,
c'est notre musique et elle nous appartient". Et franchement, je ne suis pas d'accord avec ça. Plus le public est important,
mieux c'est pour nous. Si on peut enfin mieux vivre grâce à notre musique, il n'y a pas de raisons de s'en priver.
Tu sais, pendant des années, et parfois même avant que les pionniers de la house parviennent à une certaine notoriété, on a
galéré, on a même crevé de faim. Aucune maison de disque ne s'intéressait à nous, on ne pouvait jamais sortir d'albums...
Alors j'ai beau être critiqué pour mon succès, je sais combien c'est dur de vivre de sa musique lorsque l'on glande dans son
propre ghetto. Cela dit, je n'ai pas fait mon dernier album seulement pour toucher le public du rock, mais tout simplement
parce que j'aime intégrer plein d'influences différentes dans ma musique. C'est naturel. Le métissage nous est naturel. C'est
comme si l'on interdisait aux blancs de fréquenter les noirs. Je crois profondément au métissage, les plus beaux bébés sont
toujours métis, vous ne croyez pas ?
Je pense qu'il est aussi utile de rappeler que tous tes albums, comme ce dernier, sont profondément marqués par le hip
hop...
Le hip hop c'est vraiment mes racines. J'ai grandi avec la pop, le glam-rock des années 70, avec le punk aussi, que j'ai
découvert vers l'âge de 14 ans, quand j'ai commencé à sortir, à voir des filles, et puis à l'âge de 18 ans, lorsque j'ai enfin pu
rentrer en club, les premiers morceaux que j'ai pu écouter c'étaient des trucs comme le"Planet Rock"d'Afrika
Bambaataa. Et pendant les 5 ans qui ont suivi, je n'ai quasiment mixé que du hip hop. Que j'ai fini par lâcher quand est
arrivé la vague gangsta, la vague très "rough" et trop bruyante à mon goût. Mes débuts de clubber ont donc été largement
marqués par le hip hop, et on le retrouve donc naturellement aujourd'hui dans ma musique, comme le rock ou la techno.
Hip pop Star ?
Aujourd'hui, tu es devenu une pop star sans le vouloir...
Je trouve assez pathétique le genre d'artistes qui essaient désespérément de devenir des pop stars. D'un autre côté, je n'ai
pas vraiment envie de me cacher, de rester anonyme et mystérieux comme Aphex Twin par exemple. Je ne crois ni à l'un ni
à l'autre. Je me fous d'être une pop star, mais je dois bien avouer que c'est plutôt agréable. Aussi longtemps que je me la
jouerai pas pop star, et que je resterai fidèle à mes racines et à mon idéal, tout ira bien. Et si un jour, je redeviens un simple
artiste de dance music, ça m'ira aussi très bien. Ça, c'est vraiment un truc auquel j'ai beaucoup réfléchi toute l'année
passée, parce que je n'ai vraiment pas arrêté de parcourir le monde. D'où le titre de mon album :"quelque part entre le
caniveau et les étoiles".
Qu'est-ce qui t'a ému chez Macy Gray ?
Deux choses. Tout d'abord sa voix qui sonne aussi bien que les plus belles voix de la soul, une voix rocailleuse, dont elle use
parfaitement, très loin des performances athlétiques de certaines stars du genre comme Mariah Carey ou Whitney Houston,
qui passent leur temps à faire des vocalises au lieu de chanter. Il y a un côté"roots", cru, fondamentalement honnête dans
sa voix. Et puis la deuxième chose, c'est que c'est une personnalité très attachante, honnête, excentrique, qui ne joue jamais
à la diva, qui mène sa propre vie comme elle l'entend, avec beaucoup d'indépendance. Elle est drôle, impertinente, pas star
pour deux sous et en plus, elle sent très bon...
Sweet smell of soul
Grâce à Macy Gray, on retrouve un feeling très spirituel sur l'album...
Déjà tout simplement parce que je ne voulais pas continuer à faire seulement du big beat, ma musique ne peut plus se
résumer à un simple feu d'artifice de rythmes et de samples. Il fallait donc que je trouve autre chose pour mener ma musique
autre part, pour lui donner une nouvelle force, une nouvelle énergie. Et puis j'ai toujours aimé le gospel par exemple, toutes
ces voix qui donnent une âme et une certaine spiritualité à la musique. Et puis je crois que je préfère dorénavant travailler
avec des chanteurs plutôt que d'utiliser des samples. Avec les samples, tu te sens finalement assez vite limité. Tu ne peux
que répéter les mêmes mots inlassablement, comme avec mon tube précédent,"Rockafeller Skank", qui répétait "What
about now, the funk-soul brother". Avec des chanteurs comme Macy Gray ou Roland Clark, je crois que l'on peut emmener
la musique beaucoup plus loin.
C'est un de mes potes qui m'a en fait convaincu de travailler avec des chanteurs. D'ailleurs, à l'heure de mon premier
rendez-vous en studio avec Macy Gray, elle a eu trois heures de retard. Et alors que je l'attendais, je me suis dit, putain
j'avais raison, j'aurais dû continuer à travailler seul dans mon studio, plutôt que de m'embarrasser de musiciens et de
chanteurs comme dans les années 80.
Mais finalement, ça a valu le coup. C'est un travail beaucoup plus dur. Et mes potes et ma femme m'ont vraiment poussé à
accepter ce défi. J'aurais sans doute fini par m'ennuyer à travailler seul. Il fallait donc que je parvienne à surmonter mes
vielles peurs, mes vieilles rancoeurs contres les chanteurs. C'est même plus dur de travailler avec des chanteurs qu'avec des
musiciens mais au final, cela t'apporte sans doute beaucoup plus. J'étais sans doute trop paresseux par le passé.
Love is the drug !
Est-ce que tu fais toujours peur à ta maison de disques ? Tu parles souvent de drogue et ne tu ne t'es jamais caché d'en
consommer...
Déjà, je crois tout simplement qu'ils prennent plus de drogue que moi... Et puis, je pense qu'ils savent que je suis un peu un
excentrique. Mais finalement, les maisons de disques, ça ne les dérange pas trop, mes frasques font vendre encore plus de
disques. La maison de disque américaine avait très peur de mon attitude et de mes déclarations sur la drogue. Ils avaient
peur que je sois arrêté et interdit de territoire. Mais c'était par pur calcul, pas parce qu'ils sont réac. Ça les aurait
simplement empêchés de faire de la promo.
Et c'est vrai qu'en Angleterre, on a beaucoup plus d'humour et de distance vis-à-vis de la drogue. Quand tu parles de drogue
aux USA, tu parles de crack, de meurtre... Quand on en parle en Angleterre, on imagine plus facilement des hordes de
gamins sous ecstasy en train de danser, le sourire aux lèvres. Je ne considère donc pas ça comme vraiment dangereux. Mais
c'est vrai que mon manager m'a, à une époque, fait quelques remarques là-dessus. Après avoir raconté quelques anecdotes
croustillantes à la presse, tous les journalistes finissaient par me poser des questions sur la drogue. Genre, Norman,
qu'est-ce que tu as pris cette semaine, raconte-nous donc une histoire. Donc, je me retiens un peu maintenant dans les
interviews, mais ça revient toujours sur le tapis.
Le truc, c'est que je ne prends quasiment plus de drogues, pas parce que j'ai eu de mauvaises expériences, ça ne m'est
quasiment jamais arrivé, mais le fait que je sois marié, plus mature, que je vais avoir un enfant... Tu sais, avant l'album
précédent, ma copine m'avait largué et je n'avais rien d'autre à faire que sortir en club ou faire de la musique. Aujourd'hui,
j'ai beaucoup d'occupations, j'ai une vie intime, et je ne passe donc plus mon temps à me défoncer.
L'élixir Fatboy Slim
Le secret de ton succès, c'est la rock'n roll attitude dans la techno ?
Tu sais après dix ans à jouer de la guitare dans des groupes punk, faire le producteur, composer de la pop, etc, j'ai fini par
trouver la formule Fatboy Slim, qui me permet d'exprimer tous mes différents talents. Je n'ai donc plus à jouer de la guitare,
j'ai toujours été un mauvais guitariste. Donc j'ai trouvé la bonne formule musicale.
Mais tous les papiers qui sont sortis dans la presse à scandales, ce n'est venu qu'après, et c'est vrai que ça a aussi permis
de vendre mes disques. La semaine où "Rockaffeller Skank" a été numéro 1, j'ai commencé à sortir avec Zoe Ball, l'une
des plus célèbres présentatrices de la télé anglaise, et depuis, les tabloïds ne m'ont plus lâché. Normal. 1 : je suis Number
one dans les charts ; 2, je sors avec Zoe Ball. C'est du pain béni pour la presse. Alors tu sais, à partir d'un moment, tu es
obligé de faire avec, tu ne vas pas te battre contre tous les paparazzis...
Quant au personnage de Fatboy Slim, ce n'est pas vraiment un concept marketing. C'est plutôt une sorte d'exagération de
ma personnalité. C'est une sorte de personnage de cartoon, une satire de moi-même, comme un guignol finalement. C'est
moi, mais en pire : au lieu de boire la moitié d'une bouteille de vodka, il la boit jusqu'au bout.
Propos recueillis par Jean-Yves Leloup
Photo : D.R. Hamish Brown