Interview : Crystal Distortion
Des années passées sur la route n'ont pas entamé l'enthousiasme communicatif de l'Anglais Simon, alias Crystal Distortion. Infatigable, celui-ci sillonne sans relâche le circuit des soirées, commerciales ou clandestines, offrant au public les résultats de recherches musicales toujours plus avancées, alors même qu'elles sont accessibles au plus grand nombre.Venu à la techno dès les balbutiements de celle-ci, il a eu l'occasion de voir naître les styles, sans pour autant s'engouffrer dans tel courant, telle mode. Ouverte aux influences du hip-hop, du dub ou de l'industriel, ses compositions se démarquent d'un tout-venant techno alourdi par le conformisme et le tape-à-l'oeil. Dans l'atemporalité de l'oeuvre, telle qu'elle est compilée dans Recycle 21, on appréciera l'expérience de la fête, la connaissance des machines et la volonté de toujours aller de l'avant. L'album 8 66 And Counting voit quant à lui son concepteur durcir le propos: morceaux plus arides, moindre diversité des styles abordés. Quoi qu'il en soit, breakbeat, hard techno, acidcore, si les noms signifient encore quelque chose, basse et rythme sont omniprésents chez Crystal Distortion, une des branches du mythique Network 23.


Beaucoup n'ont pas connu les morceaux de cette compilation au moment de leur sortie. Quelle est l'idée motrice de Recycle 21, réunissant beaucoup de styles différents et sortant du cadre de la compile dancefloor ?
C'est la première fois que j'essaie de satisfaire des auditeurs « de salon ». À mon avis c'est depuis que j'ai un point d'ancrage stable que j'ai réalisé quelle part importante un CD contenant un petit voyage zarbi peut avoir dans une vie. Je n'avais jamais prêté d'attention au marché de l'écoute à domicile tant que je n'avais pas de logement fixe, mais les choses évoluent…

Comment en êtes-vous arrivé à concevoir et à jouer une musique qui est toujours considérée comme extrême ou au moins d'avant-garde, dix ans après la sortie de vos premiers morceaux ?
Les rythmes ont toujours été là, depuis la nuit des temps. Ce que je fais n'est « d'avant-garde » que pour les gens qui ne savent pas danser. Les sons sont extrêmes seulement pour les gens victimes de la dictature récurrente de la mélodie imposée par ceux qui cumulent étroitesse d'esprit et un pouvoir trop important. Cela ne vous englobe pas si vous avez lu jusqu'ici !

Vous écoutiez quoi quand vous avez commencé et vous aimez quoi maintenant ?
Avant d'aller à ma première party acid house, j'étais branché Sonic Youth, Einstürzende Neubauten, Psychic TV (pour dire que j'ai pris les plans du Network 23 avec beaucoup de recul au début), Sisters Of Mercy, Hawkwind, Ozric Tentacles, et même Deee Lite et De La Soul les bons jours. Je n'avais quasiment aucune idée de ce dans quoi j'ai mis les pieds par la suite. Il me semble que l'évidence de la musique acid m'a aidé à abattre les barrières culturelles qui existaient avant que le phénomène rave n'arrive, et c'est après ça que je me suis senti bien sur cette planète pour la première fois.

Quelles différences voyez-vous, entendez-vous et sentez-vous dans la public et dans l'atmosphère quand vous jouez en free party, par rapport à d'autres endroits comme les Folies Pigalle ?
Pour dire vite, quand je joue dans un teknival, le dancefloor est vide quand je commence et plein quand j'arrête. Une soirée dans un club est généralement pleine vers 3 heures du matin donc j'essaie de jouer le plus collé possible à cet horaire. Le plus flippant a été Helio Colors, où tout le monde avait reçu un programme à l'entrée pour savoir qui jouait, où et quand. J'arrive vers le dancefloor à 3 h 30 du matin, à la cool, pas trop de monde, pas vide non plus ; je vais brancher mon matériel pour commencer à 4 heures. Et à 3 h 55 je lève le nez de ma console, je vois 3 000 personnes débarquées de nulle part et piétinant en regardant leur montre : c'est la toute première fois que j'ai ressenti le trac de la scène !

Quels sont vos projets musicaux, après la sortie de cette compilation ?
Les triplets : déjà entendu parler de la valse digitale ? Non, ce n'est pas aussi mauvais que ça en a l'air. Je viens de découvrir que, si j'écris en triplets à environ 104 BPM, je peux partir du dub, de rythmes hip-hop, monter à une techno mid-tempo puis aller jusqu'au hardcore sans changer la vitesse de la machine. Essayez chez vous, les amis !

Vous êtes arrivé en France il y a des années. N'avez-vous jamais eu envie de retourner en Angleterre ? La France est-elle une bonne terre d'accueil pour votre musique ?
Pour résumer, c'est le seul endroit du monde où je peux vivre à 100 % par, avec et de ma musique. Les parties, free ou commerciales, sont parmi les meilleures de la planète, et peu importe combien de gens se plaignent de l'état de la scène, de la musique, etc. Apprenez à l'aimer parce qu'il n'y a RIEN de comparable NULLE PART. Ce pays est le plus ouvert à la composition, l'écoute et la distribution de musique électronique. C'est le seul endroit où un musicien électronique peut décoller sans avoir à lécher les bottes de l'industrie musicale, ou changer de style pour se conformer aux critères du plus grand nombre. Et avant tout, ici on peut fabriquer soi-même son support enregistré et le vendre directement à son public si on veut. Y a-t-il un autre endroit où les musiciens électroniques ont cette liberté  ? Je serais curieux de le connaître.--Propos recueillis par Florian Pittion-Rossillon