Interview : Carl Cox

A la cour du Roi Cox, les courtisans sont nombreux et font preuve d'une sollicitude acharnée. Cependant, la tête froide, le sourire aux lèvres et à 34 printemps, Carl est toujours égal à lui-même. En juin prochain, son premier album va atterrir dans les bacs des disquaires et 1996 sera l'année de la naissance de son nouveau label : ULTIMATUM. Alors, consécration ? Aboutissement ? Questions...

Dis-moi, entre nous, est-ce que tu pouvais penser qu'un jour, ton activité de Dj pourrait te permettre de bien vivre et d'être indépendant ?

Pendant de longues années, je n'ai pensé qu'à m'amuser. Longtemps, j'ai passé des disques dans les mariages, les anniversaires... Par la suite, j'ai commencé à tourner dans les clubs. Je ne gagnais pas des sommes astronomiques, mais lorsque tu fais ce qui te plaît, c'est déjà un avantage considérable. Au bout d'une dizaine d'années de vie quelque peu dissipée, j'ai décidé de m'y mettre un peu plus sérieusement. Je subissais aussi les pressions de ma famille qui aurait bien voulu que je fasse quelque chose d'un peu plus sérieux. Eux, auraient souhaité me voir dans la peau d'un médecin ou d'un avocat. Le fait d'être Dj n'était, à leurs yeux, qu'un passe-temps. J'ai donc résisté et décidé de m'investir un peu plus dans le monde de la musique.

Durant toutes ces années, tu as certainement beaucoup vécu la nuit. Il n'y a pas des jours où tu regrettes de ne pas avoir une vie totalement "normale" ?

Je continue de croire que je suis sur terre pour faire ce que je fais. Je crois qu'il faut avoir un certain état d'esprit pour vivre la nuit. Cela ne me dérange pas de me coucher à huit heures du matin, c'est ma vie ! Il y a des gens qui doivent être au lit à onze heures du soir, franchement ça me paraît, à moi en tout cas, inconcevable. Mais ce n'est pas le fait de vivre la nuit qui est le plus fatigant ou le plus stressant, c'est simplement le fait de trop travailler et c'est ce qui m'arrive parfois. La solution, c'est de stopper de temps en temps pour faire le point et pour être sûr de rester en bonne santé.

Big Barre TravauxQuel effet cela fait-il d'être considéré comme une "Superstar" ?

J'ai travaillé très dur pendant de longues années. Etre reconnu pour ce que tu as fait, c'est finalement une récompense. Cela prouve certainement que si tu crois vraiment en ce que tu fais et que tu y mets du coeur, les gens finiront par te reconnaître. Si tu n'as rien à offrir aux gens, ils ne te rendront rien, c'est une évidence. La sincérité est la clef de tout. Durant toutes ces années où j'ai été Dj, la musique à évolué. Pour être toujours présent il a fallu que je sois fidèle à ce que je crois être de la bonne musique. Le public le sent...

Justement, aujourd'hui, quel est le style auquel tu t'attaches plus particulièrement ?

Du fait que j'aie grandi au son du Funk/Soul et du Disco, la musique qui m'attire le plus comporte certains des éléments de ces genres là. J'essaie de comprendre ce que l'artiste a voulu exprimer dans sa musique et je n'ai pas d'oeillères, il peut s'agir de Trip-Hop, de Jungle, d'Acid, De House ou bien même quelquefois de Trance. Il existe des morceaux minimaux qui ne contiennent pas grand chose mais qui ont un "Groove" exceptionnel.

Lorsque tu effectues un set, quelle est la durée qui te semble convenable ?

J'aime bien jouer longtemps, cependant je dirais que six heures me semblent suffisantes. C'est assez pour raconter et construire ton histoire. Pendant ces six heures, tu peux jouer quatre heures de très bonne musique. Pendant la première heure, tu prends tes marques, et pendant la dernière tu redescends. Il y a des disques que tu ne peux jouer qu'au début ou à la fin d'un set.

Comment fais-tu lorsque que l'on ne t'accorde qu'une ou deux heures, comme c'est souvent le cas dans les grosses Raves ?

C'est dur. Il faut connaître parfaitement ses disques et occulter volontairement certains d'entre eux. Il faut alors construire une histoire plus courte et c'est d'autant plus difficile que celui qui joue avant ou après, a lui-même construit son histoire. Il faut être convaincant. Cela dit, si l'on te donne une heure, il ne te reste plus qu'à jouer l'efficacité. Ces fêtes là ne sont pas celles que je préfère.

A l'heure où les "Majors Companies" sont à l'affût et "récupèrent" les artistes Techno, crois-tu qu'elles soient en mesure de leur assurer un développement constructif ?

Pas vraiment, non. Mon idée n'était pas vraiment de signer sur une Major, c'était plutôt de me servir de leur argent pour développer cette musique. Les Majors sont en fait des banques parce qu'il faut qu'elles soient sûres de récupérer leur argent avant de l'investir. Par conséquent, il faut les utiliser comme des banques. Cela dit, je n'aurais jamais signé avec une compagnie qui ne correspondait pas à ce que je désire et qui n'assurait pas un développement comme je l'entends. Les gens avec qui j'ai signé comprennent ce que je veux faire de mon label ULTIMATUM. Si tu cherches de nouveaux talents, de nouveaux artistes, il faut bien se mettre dans la tête que l'opération peut être déficitaire pendant un certain temps. La plupart des Majors n'investissent pas sur des projets mais plutôt sur des produits dont elles sont sûres de l'impact et du résultat. C'est pour cela qu'elles investissent plutôt

dans la Dance. Un bon gimmick, une blonde plantureuse, un rapeur black, et le tour est joué. Le même beat tout au long du disque... Si l'on revient quatre ans en arrière, les mêmes trouvaient que c'étaient trop rapide, trop dur... Ils se réveillent tous une fois qu'un son a fait ses preuves.

Tu crois qu'ils peuvent faire de l'argent avec des gens comme toi ou Dave Clarke ?

N on, je crois que cela leur donne une certaine crédibilité. De toutes façons, ils passent ce genre d'opérations en pertes et profits, ce n'est pas très important, au fond. Mais c'est exactement le shéma du Rock. Les compagnies investissent beaucoup d'argent sur des groupes de Rock et au bout du compte il y a beaucoup d'appelés mais très peu d'élus. Il faut financer dix ou vingt groupes pour qu'un d'entre eux sorte du lot. Dans notre cas, je pense qu'ils doivent avoir le contrôle de ce que nous faisons comme nous devons avoir le contrôle de ce qu'ils font.

Et tu l'as toujours ?

Oui, je le crois sincèrement. Je n'aurais pas signé sans une confiance réciproque. En revanche, l'avantage d'une grosse compagnie, c'est qu'elle te permet de pénétrer, outre les magasins spécialisés, un gros réseau de grande distribution. C'est peut être un moyen de sortir de l'underground pour convaincre d'autres publics pas forcément acquis. En ce qui concerne le développement d'ULTIMATUM, par exemple, mon principal souci aujourd'hui est qu'il soit distribué dans les petits magasins.

Alors, justement, quelle est aujourd'hui ta relation avec le public Underground ?

I ntacte, je pense. Cette musique vient de l'underground. Peu importe qu'on en vende 10 ou 10000 copies, ce qui compte c'est que cela soit toujours fait avec le même esprit. Quoi que je fasse, il s'agit de mon son et je resterai fidèle à ce son. On ne fait pas de la musique pour faire systématiquement un tube. Si cela arrive, c'est simplement que beaucoup de gens auront aimé le morceau. Quoi qu'il advienne, j'en reviens à ce que j'ai dit tout à l'heure, le public sait si tu mens.

Avant, les gamins demandaient à leurs parents de leur offrir une guitare ou un sax. Aujourd'hui, ils s'achètent des platines et mixent comme des fous pour devenir Dj. Tu n'as pas le sentiment qu'il va y avoir, dans les années à venir, beaucoup de déçus ?

Lorsque que j'ai commencé, il n'y avait aucune radio, aucun magazine qui parlait des Djs, de leur travail et de ce qu'ils essayaient d'exprimer... Actuellement, le seul moyen qui me semble être viable pour exister en tant que Dj, c'est d'avoir sa propre soirée dans un club. Cela peut être un bar, un pub... Ce qui différenciera les futurs Djs, c'est le son. Il faut trouver son propre son. C'est le plus important. A compter du moment où tu développes ce son et qu'il est le tien, tu prouves ton individualité et tu existes, grâce à cela. Au fond, avec de l'entraînement, c'est facile de mixer des disques. C'est plus difficile d'être original. J'ai vu beaucoup de Djs arriver puis disparaître, mais c'est certainement parce qu'ils ne croyaient pas vraiment à ce qu'ils faisaient.

C'est difficile aujourd'hui d'être reconnu si on n'a pas derrière soi une carrière de producteur... C'est le cas, par exemple de nombreux Djs français.

Les cas sont rares de Djs qui soient d'excellents producteurs. Je crois qu'on peut être l'un ou l'autre. Dans mon cas, la production n'est qu'une extension de mon métier de Dj. Ce n'est pas ma production qui m'a fait reconnaître en tant que Dj. Par conséquent je mets dans ma musique ce que je ressens et ce qui correspond à mon feeling de Dj. Cela dit, si des gens n'aiment pas ce que je produis, ce n'est pas pour autant qu'ils n'aimeront pas ce que je joue. Le fait de cumuler les deux activités a des effets pervers parce que si tu connais la production excellente d'un Dj et que tu le vois sur un Flyer, tu vas aller l'écouter, et peut être que son set te décevra. On assiste de plus en plus à ce genre de situation. La production permet effectivement de te faire un nom. Les Djs de Rap ou de Hip Hop ont acquis le respect du public par leur travail "Live" et leur aptitude à mixer. Ensuite ils en sont venus à produire; c'est à mon avis la direction à emprunter et pas l'inverse.

Revenons un instant à ton label. Tu comptes produire les gens qui font aujourd'hui partie de ton agence (Colin Dale, Luke Slater...) ?

Peut être. Ils ont été les premiers à être sollicités. Cependant, comme je voyage beaucoup, j'ai l'intention de chercher de nouvelles sonorités, de nouveaux talents. C'est le cas de Josh Abrahams. J'ai aussi l'intention de produire des albums, peut être plus que des "singles". Que les gens ne se méprennent pas, je mettrai en avant, je l'éspère, de la bonne musique. Je ne suis pas là pour faire entrer mes productions au Top 50.

T'en n'as pas marre des interviews ?

Non, c'est notre rôle de répondre aux questions que peuvent se poser les lecteurs des magazines concernés par cette culture. Ce qui m'énerve, en revanche, ce sont les journalistes qui n'ont pas pris la peine de s'intéresser à ce que tu as fait auparavant. Ceux qui ne sont absolument pas concernés par ce dont tu vas leur parler. Ceux qui savent juste que Carl Cox mixe sur trois platines et qu'il est numéro un. Ce sont des gens à qui tu ne dis, en fait, pas grand chose.

Dans le genre question bateau, mais cela fera plaisir à beaucoup de monde, quels sont les Djs français que tu aimes ?

Avant tout, je dirais Laurent. Je pense qu'il a fait beaucoup pour le développement de la scène en France. Il a certainement ouvert des portes. Stéphanovitch, Jack. Dj Tonio parce qu'il a l'air passionné. Lady B. Ce qui me plaît chez ces Djs, c'est qu'ils jouent de la bonne musique, ce sont d'excellents mixeurs et ils brûlent d'une passion qui fait parfois défaut à d'autres Djs internationaux qui occupent le devant de la scène mondiale.