Rythmes et sons Cocorico techno

Les musiciens électroniques français brillent à l'étranger. Oui et après ?


Envoyé spécial. France 2.

Techno, un mot qui sonne comme une paire de claques retentissantes dans un paysage musical jusque-là dominé par le rock. Depuis maintenant dix ans, toute une nuée de musiciens, danseurs, fêtards, journalistes, DJ, graphistes sont partis explorer cet univers sonore apatride dont le langage de sons et de rythmes a presque réussi à chasser le verbe. La techno est-elle pour autant muette ? On constate en tout cas que ce mouvement se vit plus qu'il ne se dit, se danse plus qu'il ne pense. Expérimentale, éphémère, la techno remet en question les notions d'instrument, de mélodie, d'harmonie, de composition, de droit d'auteur... presque tout ce qu'on croyait savoir sur la musique.

Un tel chamboulement esthétique, agrémenté d'à-côtés dérangeants (fêtes sauvages, usage de drogues dites récréatives), ne pouvait se répandre sans faire débat. Et les premières réactions du monde extérieur seront radicales : rejet du microcosme musical, mépris des critiques, effroi des parents, répression des pouvoirs publics. Ce front de défense de la " vraie musique " et des loisirs corrects aura pour effet de souder le mouvement, de le stimuler. En France, pendant les années quatre-vingt-dix, la scène house et techno fait preuve d'une énorme vitalité et se donne les moyens de se développer malgré tout : radios, fanzines, magazines, labels de disques, boutiques spécialisées et soirées se multiplient. Un réseau alternatif qui ne tardera pas à attirer l'attention des grandes maisons de disques, des institutions culturelles et des médias.

De cette effervescence jaillissent des artistes dont le domaine d'expression n'est plus la France, mais le monde : Laurent Garnier, Saint-Germain, DJ Cam et surtout Daft Punk, stars mondiales de ce qui s'appellera bientôt la " French touch ". C'est une première. Pendant que Johnny emmène son public pour ne pas jouer dans le vide à Las Vegas, Daft Punk et consorts créent l'événement dans les plus grandes fêtes à New York, Londres, Barcelone ou Berlin...

Voilà le constat que, depuis deux ans, de nombreux médias ont contribué à diffuser. D'où la perplexité devant ce reportage d'Envoyé spécial, certes bien ficelé, mais qui ne fait que redire ce que beaucoup savaient déjà : d'abord ignorée, puis rejetée, la musique électronique française est devenue le symbole d'une jeunesse entreprenante, dynamique, voyageuse, culottée.

L'argument économique et l'angoisse française d'être une vieille nation jouent à plein ici : voilà un secteur économique certes très spécialisé mais florissant et où la France se distingue au plan international. Chouette ! Et après ? Le mouvement électronique français se limite-t-il à avoir inventé un produit culturel compétitif ?

Une fois de plus, la réalité du mouvement se dérobe à la vision extérieure. Après l'amalgame techno-drogue, voilà l'association systématique techno-French touch. Curieusement, le regard médiatique semble incapable de dépasser ce stade cocorico pour s'interroger sur les revendications artistiques, sociales que porte le mouvement techno, sur les débats esthétiques qui l'animent, sur les questions de fond que cette musique soulève sur notre époque.

Comment une musique née d'une réaction face au système commercial est-elle devenue le refrain idéal des pubs de banques ? Que pensent les musiciens de Stardust quand leur énorme tube Music Sounds better with you sert d'hymne de campagne au RPR pendant les élections européennes ? Comment peut-on ériger techno et hip-hop en genres antagonistes alors qu'ils coulent des mêmes sources ? Ces musiques instrumentales sont-elles la bande son du futur ou au contraire la résurgence d'une dimension musicale occultée en Occident ? La techno est loin d'avoir dit son dernier mot.

Guillaume Bara