Le son des raves

L'été voit débarquer son florilège habituel de fêtes en tous genres. Souvent, l'organisation laisse à désirer, mais la bonne volonté et l'énergie déployée font parfois oublier le manque de professionalisme. Cependant, il nous paraît inconcevable que la musique dont nous sommes les aficionados soit diffusée par le biais d'une mauvaise sono. Mais au fait, y a t-il de bonnes et de mauvaises marques ? En réalité, dés que l'on touche au son professionnel, il n'y a en fait, que de mauvais techniciens. Tout cela méritait bien quelques explications. Dont acte...

La Techno est une musique pour laquelle la qualité du son est très importante. Etant construits sur des bases répétitives, toute la subtilité des morceaux réside dans de petites variations qu'on ne peut entendre qu'avec une restitution précise. Chacun sait qu'un «bon son» aide considérablement à faire monter l'ambiance dans une soirée, et, qu'au contraire, un son de mauvaise qualité peut empêcher le public d'apprécier la prestation du DJ...aussi bon soit-il. Trop souvent, des critiques fusent sur le son dans de nombreuses soirées et force nous est de constater que peu d'endroits nous offrent la qualité qu'on est en droit d'attendre. Souvent, les flyers débordent d'informations fantaisistes, notament quant aux puissances annoncées. Cet article essaiera de vous expliquer un maximum de choses sur les systèmes de reproduction sonore, tout en évitant de vous gaver par des définitions trop techniques. Ceci concerne, bien sûr, tous ceux qui organisent ou vont organiser des soirées, les DJ's qui ont intérêt à comprendre un tant soit peu le fonctionnement de la sono qui est leur principal outil de travail, mais aussi tous ceux qui écoutent de la Techno chez eux ou dans leur voiture (et ça fait du monde !)

DES WATTS ET DES DECIBELS
Commençons par taper un grand coup sur la table : le son ne se mesure pas en Watts : il se mesure en Décibels.
LES DECIBELS
Les décibels indiquent le niveau sonore :
30 décibels, c'est le bruit de fond la nuit, en ville, lorqu'il ne passe pas de voitures dans la rue.
60 décibels, c'est le niveau sonore d'une conversation calme.
80 décibels, une conversation animée.
90 décibels, une rue où passent de nombreuses voitures.
Un Klaxon donne environ 110 décibels à 1 mètre de la voiture.
Un avion, au décollage, produit 130 à 140 décibels, c'est aussi le niveau auquel commence à apparaître la douleur.
Au dessous de 100 décibels, l'oreille ne perçoit pas de douleur, mais elle fatigue cependant. Ecouter fort est un plaisir qui se paie en fatigue de l'oreille et une oreille fatiguée entend moins bien... C'est en s'appuyant sur le risque de fatigue auditive que certains pays, comme la France, limitent le niveau sonore dans les concerts, les discothèques ou autres manifestations. Lorsqu'il s'agit d'une piste de danse, on peut dire que la puissance est insuffisante si l'on n'atteint pas les 100 décibels (on entend le bruit des pas et les conversations). Au dessus de 130 db, c'est trop fort (seuil de la douleur). La législation en cours tente de limiter les événements à 105 décibels.
LES WATTS DES AMPLIS ET LES WATTS DES ENCEINTES
Un amplificateur (ampli) est un appareil qui fournit la puissance électrique d'un système son. Cette puissance est mesurée en watts. Une enceinte transforme la puissance électrique en son, et l'on indique donc en watts la puissance électrique maximale qu'elle peut admettre sans griller. La grande différence entre le matériel professionnel et celui que l'on a chez soi, c'est le temps pendant lequel l'ampli fournira la puissance nécessaire à l'enceinte sans tomber en panne.

Pour le matériel professionnel, on peut considérer les puissances indiquées par le constructeur comme continues à condition que la température ne soit pas trop élevée. Les amplis professionnels sont d'ailleurs équipés de disjoncteurs thermiques (sensibles à la température), qui coupent, ou mieux, baissent l'ampli s'il est trop chaud. Certaines enceintes professionnelles s'utilisent avec un «processeur» qui «surveille» l'enceinte et régule le niveau.

Le matériel Hi-Fi dépend de la bonne foi du constructeur qui raconte ce qu'il veut. Si certains d'entre eux sont sérieux et annoncent des puissances qui pourront être tenues pendant plusieurs heures, la plupart effectuent des tests de quelques minutes seulement. Ainsi, il est arrivé souvent que des personnes ayant utilisé du matériel Hi-Fi lors de petites soirées, aient tout bonnement cassé leurs systèmes.

On peut brancher sans crainte un ampli de 100 watts sur une enceinte de 200 watts alors que le contraire risque de détruire l'enceinte. C'est une règle d'ordre général. Mais, lorsque l'on demande à un ampli de fournir plus que ce qu'il peut développer, non seulement il ne le fait pas, mais il sature et produit de la distorsion. Un ampli qui sature est capable d'abîmer n'importe quelle enceinte.
Attention : un ampli de 25 watts qui sature peut endomager sérieusement une enceinte de 200 watts !

MORALITE : si le son n'est pas assez puissant et que le matériel que vous utilisez ne peut pas faire plus, il vaut mieux choisir un son pas assez fort mais de bonne qualité et qui dure ! Si l'on monte le volume, on peut alors croire que le son est plus fort parce que la distorsion le rend plus agressif, mais ce n'est qu'une illusion : la qualité ne sera pas au rendez-vous et le matériel risque fort de ne pas tenir longtemps.

MORALITE DE LA MORALITE : ne soyez pas trop chiche sur le matériel !

'OHMS' OU COMMENT BRANCHER PLUSIEURS ENCEINTES SUR UN AMPLI.
Les ohms sont une caractéristique électrique mise en évidence par M. Ohm, il y a bien longtemps. En sonorisation, on dit qu'un ampli fournit une certaine puissance sous 4, 8 ou 16 ohms. Par déclinaison, on dit qu'une enceinte a une impédance de 4, 8 ou 16 ohms.

Théoriquement, un ampli qui développe 100 watts sous 8 omhs, développera 200 watts sous 4 ohms, 400 watts sous 2 ohms et inversement : 50 watts sous 16 ohms. Ce n'est que pure théorie. D'une part, certains amplis ne fonctionnent pas (disjonctent ou cassent) sous 2 ou 4 ohms (voir la notice du matériel), d'autre part, il y a des pertes qui font que 100 watts sous 8 ohms donnent plutôt 180 watts sous 4 ohms et 340 watts sous 2 ohms.

dessin A

Lorsque l'on branche plusieurs enceintes en parallèle (cf ci-dessus) sur le même canal d'un ampli, il faut diviser l'impédance de l'enceinte par le nombre d'enceintes pour obtenir l'impédance de travail de l'ampli. Exemple : 2 enceintes de 8 ohms branchées en parallèle feront travailler l'ampli sous 4 ohms, et les enceintes se partageront la puissance que l'ampli peut fournir sous 4 ohms.

dessin B

Lorsque l'on branche plusieurs enceintes en série (cf ci-dessus) sur le même canal d'un ampli, il faut multiplier l'impédance d'une enceinte par le nombre d'enceintes pour obtenir l'impédance de travail de l'ampli. Exemple : 2 enceintes de 8 ohms branchées en série feront travailler l'ampli sous 16 ohms, et les enceintes se partageront la puissance que l'ampli peut développer sous 16 ohms. On peut brancher en série des groupes d'enceintes, elles-mêmes branchées en parallèle. Dans ce cas, il faut calculer l'impédance de chaque groupe, puis de l'ensemble. Attention, quel que soit le groupement, il est préférable de ne brancher sur un même ampli que des enceintes identiques, sinon la répartition de la puissance sera variable et, une fois de plus, on risque la casse !

LE RENDEMENT
Cette information essentielle indique la mesure en décibels d'une enceinte à une distance de 1 mètre lorsqu'on lui fournit 1 watt.

En Hi-FI, cette mesure varie de 81 à 97, en sonorisation, de 94 à 110. Pourquoi est-ce tellement important ? Parce que le rapport entre la puissance électrique et le niveau sonore n'est pas linéaire (les matheux disent que c'est un rapport logarithmique). Dans la pratique, on peut dire que multiplier la puissance par deux ajoute 3 décibels, par 4 ajoute 6 décibels et par 10 ajoute 10 décibels.

En conséquence, si une enceinte de rendement 97 produit 97 décibels avec 1 watt, celle qui n'a qu'un rendement de 81 nécessitera 40 watts pour restituer les 97 décibels. Ainsi, vous vous rendrez compte que les watts ou les kilowatts (1Kw=1000 watts) ne donnent aucune idée du niveau sonore que l'on obtient si l'on n'en connaît pas le rendement.

Par ailleurs, l'oreille commence à peine à percevoir une différence de 2 décibels. Disons que plus ou moins 3 décibels constituent un changement net. Ce qui veut dire qu'il faut doubler la puissance électrique pour que nous nous rendions compte d'une différence. Il est impossible de distinguer à l'oreille la différence entre 20 et 25 Kw du même matériel. Si la puissance ne suffit pas, il faut la doubler, voire la quadrupler afin d'obtenir une amélioration !

On préfèrera donc un matériel avec un rendement élevé qui nécessitera moins de puissance électrique donc consommera moins (tant pis pour EDF mais tant mieux pour l'éventuel groupe électrogène) et chauffera moins (moins de risque de casse). Evidemment, il y a des inconvénients : les systèmes à haut rendement coûtent plus cher et sont généralement plus volumineux donc plus difficile à transporter. Mais la qualité vit au dépend des sonorisateurs flemmards.

La puissance à prendre en compte pour les calculs de niveau sonore est celle fournie par les amplis. La puissance des enceintes doit simplement être au moins égale à celle des amplis pour éviter la casse (on l'a déjà dit). Ne vous faîtes pas avoir par des gens peu scrupuleux qui branchent 10 Kilowatts d'amplis sur des enceintes dont le total des puissances admissibles fait 15 Kw. Dans ce cas, ils vous annoncent alors une puissance de 15 Kw.

LE SON ET LA DISTANCE
Un autre piège : l'influence de la distance. Si l'on double celle-ci, on perd alors 6 décibels. Ceux qui ont bien lu le paragraphe précédent auront compris que pour obtenir le même niveau à 2 mètres que celui obtenu à un mètre avec un watt, il nous faut donc 4 watts. Si l'on désire un rendement de 115 décibels à 16 mètres, et que le système utilisé à un rendement de 103 (courant en sono), il faudra mettre 40.000 watts (40 Kw), et l'on aura alors un rendement de 139 décibels à un mètre (ce qui en principe est interdit). C'est la raison pour laquelle, bien évidemment, le son est plus fort devant les enceintes.
PRISE DE CHOU FACULTATIVE.
Explications (pour ceux que cela intéresse) : 16 mètres = 2x2x2x2. On double 4 fois donc on ajoute 6x4 = 24 décibels. Voilà pour les 139 décibels à un mètre. Entre le niveau désiré à un mètre et le rendement du système pour un watt, on a 139-103=36 décibels. 36 =10+10+10+6, donc il faut multiplier la puissance (1w) par 10x10x10x10x4 et l'on retrouve nos 40 Kw.

MULTIPLIER LES POINTS DE DIFFUSION dessin C

Lorsque l'on dispose d'un grand espace, il existe deux solutions pour obtenir un bon niveau sonore partout sans qu'il soit trop fort en façade. On peut mettre les enceintes en hauteur, ainsi l'écart de distance entre l'avant et le centre de la piste se trouve réduit. C'est le principe de certains gros événements, mais on gaspille de la puissance (cf ci-dessus).Une autre solution consiste à répartir plusieurs groupes d'enceintes en différents points de la salle. Il y a, là aussi, deux méthodes.

dessin D

On peut entourer la piste avec quatre, voire huit groupes d'enceintes diffusant le même son (cf ci dessus). Ainsi, ou que l'on se trouve, on a un groupe d'enceintes à proximité, donc un son assez fort. l'inconvénient de cette méthode, c'est le risque de décalage entre les groupes. Le son est lent à se déplacer (300m/seconde). L'oreille entend bien des décalages inférieurs au 1/20ème de seconde. Si l'on perçoit le son de deux groupes d'enceintes, l'un à deux mètres, l'autre à 20 mètres, on entendra une sorte d'écho. La piste entourée d'enceintes est une excellente solution pour les salles dont les côtés n'éxcédront pas huit mètres, ou bien dans le cas où les enceintes n'ont pas une longue portée car dans ce cas, on n'entendra pas les autres.

dessin E

La meilleure solution pour les grands espaces, c'est l'utilisation d'un retardateur (cf ci-dessus). Toutes les enceintes sont tournées vers le fond, et celles qui se situent vers l'arrière diffusent un son retardé par un appareil appelé «Delay» en anglais. Ce retard est ajusté en fonction de la distance qui sépare les groupes d'enceintes. On entend alors, en même temps, le son provenant des différents groupes, sans décalage aucun. Il est possible d'aller au delà de quatre points de diffusion en utilisant plusieurs retardateurs. Il s'agit d'un travail relativement long et fastidieux que beaucoup de sonorisateurs éviteront de vous proposer.

LE COMPRESSEUR, KESAKO ?
Pour éviter la casse, on utilise souvent un compresseur. C'est un appareil que l'on branche entre la table de mixage et le ou les amplis, et qui limite le niveau. Si le DJ monte le volume au delà d'une certaine limite (réglable sur le compresseur), celui-ci baisse automatiquement le niveau. Et, plus on monte, plus le compresseur travaille et donc baisse le volume. Par conséquent, le niveau de sortie n'augmente pratiquement pas.

Les deux avantages du compresseur : on risque moins de casser le matériel (s'il est bien réglé), et le niveau sonore moyen sera proche du maximum possible (on exploite à fond les possibilités du système).

Les deux inconvénients : on perd de la dynamique musicale (écart entre les niveaux faibles et forts) et l'on peut, sans obtenir un niveau sonore plus important, saturer la table de mixage et donc obtenir un mauvais son.

Lors de nombreuses soirées, les DJ's travaillent avec la table de mixage «tout dans le rouge». Cela n'augmente en aucun cas le niveau puisque le compresseur le baisse ! En revanche, la table produit de la distorsion et le son devient mauvais. Ainsi, on peut avoir la meilleure sono du monde bien réglée, si le signal est saturé à la source, il le sera évidemment à l'arrivée.

Conseil : si c'est rouge, c'est que c'est trop fort ! C'est pour cela que les vu-mètres ont des zones rouges ! Bon d'accord, on peut y aller un peu, dans le rouge, mais un peu seulement. Il vaut mieux se forcer à ne pas saturer et dans ce cas, demander au sonorisateur de relever le niveau général. Ainsi, même si l'on n'a pas une impression de surpuissance, le son est nettement meilleur.

NOTE IMPORTANTE
L'oreille ne perçoit pas avec précision la localisation des fréquences basses. Il est donc possible d'utiliser un seul haut parleur ou un seul groupe de haut parleurs pour les basses, en mono, au centre, en conservant la stéréo pour les médiums et les aigus.
CHOISIR LE MATERIEL
Pas de recettes miracle. Il n'y a aucun matériel parfait. Il faut toujours choisir celui qui conviendra à l'endroit choisi. Par exemple le système MT4 d'Electro Voice donnera d'excellents résultats en extérieur ou dans une grande salle, mais à moins de trois mètres des enceintes, le son ne sera pas très bon. En revanche le Stage Acompany est un excellent système de proximité mais il n'a pas une excellente portée, il doit être utilisé en multipliant les points de diffusion.

Pour choisir un système, commencez par l'écouter dans des conditions qusi-identiques à celles qui seront les vôtres (même genre d'endroit, même musique). Souvenez vous aussi qu'un mauvais résultat provient rarement du matériel lui-même, mais plutôt du réglage de celui-ci, du manque de puissance ou d'une utilisation pour laquelle il n'est pas adapté. La disposition est un élément très important (voir plus haut). Un bon spécialiste utilisant le matériel adapté peut obtenir un son correct dans pratiquement n'importe quel endroit, mais ce n'est pas donné à tout le monde !

Certains systèmes excellents en concerts peuvent s'avérer décevants pour diffuser des disques. En live, la dynamique, c'est à dire l'écart entre les sons forts et faibles, est d'envron 40 décibels, soit un rapport de puissance 10000. La plupart des disques ont une dynamique de l'ordre de 20 décibels, soit un rapport de puissance 100. De ce fait, la puissance moyenne sera plus élevée en diffusion de disques et le système son plus sollicité.

LE REGISSEUR, POUR QUOI FAIRE ?
De nombreuses difficultés quant au son proviennent de la méconnaissance par les organisateurs, des caractéristiques et contraintes du matériel, et par les sonorisateurs, des contraintes d'une soirée techno. S'ajoutent à cela, les intérêts financiers contradictoires des deux parties.

Bien connu des producteurs de spectacles, le régisseur est un personnage méconnu des organisateurs de raves. Et pourtant, toute organisation moyenne aurait avantage à travailler avec un Régisseur. Il s'agit d'une personne qui dépend de l'organisation, est payée par elle, qui connaît bien le matériel et la musique, et qui saura expliquer au fournisseur les besoins et les caractéristiques d'une soirée techno. Il contrôlera la conformité et le bon fonctionnement du matériel lors de son installation et aidera le sonorisateur à régler son système tout au long de la soirée.

Procéder à des réglages durant la soirée, n'est pas une initiative superflue. D'un DJ à l'autre, selon que la salle se remplit ou se vide ou que la température augmente ou baisse, il faut périodiquement revoir les réglages de la sono.

Peu de sonorisateurs ont, dans leur équipe, des ingénieurs du son connaîssant bien les caractéristiques du son techno et le fait d'avoir sonorisé de nombreuses raves n'est pas un argument suffisant. L'indépendance du régisseur par rapport au fournisseur permet souvent de faire des économies en obtenant un meilleur résultat.

Dans l'organisation de soirées, tout n'est pas simple et cet article ne prétend pas remédier à tous les problèmes. Cependant, bien souvent les organisateurs se contentent de louer du son, sans se préoccuper du résultat. Certains sont parfois déçus et réagissent, d'autres continuent sans trop se poser de questions. Un organisateur peut avoir des problèmes de son, mais lorsque c'est à répétition, c'est qu'il se fout de la geule du monde, ou qu'il est parfaitement ignorant des principes de sonorisation. Auquel cas, c'est un devoir de s'entourer de compétences. A tous les niveaux d'ailleurs...