Le phénomène techno


Entretien avec Bernard Dobbeleer

Bernard Dobbeleer est programmateur à Radio 21 et chroniqueur musical. DJ lui-même dans les années 80, il est l'un des spécialistes belges de ce genre de musique qui a quitté le statut de mode pour acquérir la qualité de véritable mouvement musical.

Dès le premier abord, le personnage central de la musique électronique actuelle, véritable pivot de la culture techno est le DJ. Quelle est l'origine de ce métier?
A l'origine, dans les années 70, lors des premières soirées disco, le DJ était l'opérateur qui enchaîne les disques, tout simplement. Leur contribution musicale est intervenue par l'apparition de remix ou versions remixées qui reprenaient des morceaux de musiques existants tout en les allongeant et en y ajoutant une rythmique spécifique facilitant les passages d'un disque à l'autre. Le but était de permettre de danser sans arrêt entre les divers morceaux. Très vite, le métier s'est affiné: il ne s'agit plus simplement d'enchaîner correctement des disques mais aussi de créer une ambiance, de construire une soirée. Il y a un côté sensuel, un relief à imprimer dans la soirée comme dans une musique.

Peut-on dire que le DJ est devenu le musicien dans la musique électronique actuelle?
Le titre de musicien est peut-être un peu exagéré. Le DJ est cependant devenu une espèce de star. Pour prendre un exemple, au Fuse, qui est le lieu bruxellois qui accueille le plus grand nombre de DJ de stature internationale, il n'y a pas de gardes du corps quand ils y descendent. Ils signent pourtant des autographes, sont reconnus par les clients de la boîte mais n'ont pas le même statut que, par exemple, les musiciens rock. C'est un autre métier. La plupart des DJ, quand ils évoluent, passent à la production, sortent leurs propres remix. On peut définir le début de cette évolution du statut de simple DJ à celui de star aux début des années 90. Le mouvement est parti de Grande-Bretagne, d'Italie mais aussi d'Espagne. Ibiza est, par exemple devenue une véritable fabrique de stars. En tant que haut-lieu du tourisme, des DJ venant du monde entier y ont été invités avec cachets de stars, statut social, etc à la clef. Dans certaines boîtes, les DJ se font même bisser et enchaînent quelques disques à la fin de leur set comme lors de rappels à la fin de concerts. Dans tous ces pays, on ne crée presque plus de groupes, l'ambition des jeunes est de devenir DJ. C'est devenu la profession branchée. C'est aussi le cas dans le monde du show-business. Pour prendre un exemple, Boy Georges s'est essayé à la profession. Des groupes comme U2 engagent leur propre DJ, comme Paul Oakenfeld, pour assurer les premières parties de leurs concerts. Lors de leur concert à Wembley, ce dernier a été précédé par un set de deux heures devant 250.000 personnes. C'est le Stadium House ou le Stadium Techno.

Qui peut-on justement citer parmi les grandes pointures?
Laurent Garnier est incontestablement et à l'unanimité l'un des tout grand DJ mondiaux et reconnu comme tel. Il est impressionnant dans sa maîtrise technique, les enchaînements sont absolument parfaits, il peut offrir un set de cinq heures sans la moindre anicroche au niveau du rythme. Outre sa dextérité technique, il travaille littéralement la salle en relançant l'ambiance, en tenant le public en haleine. Il y a aussi l'Anglais Carl Cox, mondialement connu pour l'énergie qu'il insuffle dans ses sets ou l'Américain Jeff Mills qui est considéré comme un puriste du genre. Il allie une précision incroyable à une grande intransigeance musicale. Il ne se produit que sur des labels indépendants refusant une certaine logique commerciale. Il y a encore l'Allemand Sven Väth qui possède un style tout particulier. Il est vrai que l'Allemagne est l'un des berceaux de la musique électronique moderne.

Justement, quelles sont les sources de cette musique?
Pour moi, à l'origine, il y a des groupes comme Kraftwerk qui est une référence absolue. Mais aussi le mouvement de la disco avec son côté funky, festif, chaud presque soul. Daft Punk s'en inspire par exemple. Il y a la techno pure, plus froide quoiqu'on revienne actuellement vers un son plus chaud. La trents, par exemple s'inspire avec ses lignes mélodiques de claviers, quelques fois un peu chétives, de la new wave un peu froide comme celle de Depeche Mode.

Est-ce qu'on peut dire que la musique électronique est une forme de recyclage de courants musicaux passés ou y trouve-t-on une véritable originalité?
On peut dire ça. Il y a toutefois plusieurs écoles. Pour ne prendre qu'un exemple, celle de Détroit aux USA, qui soit dit entre parenthèses n'est que très peu connue et reconnue là-bas, produit la musique la plus pure, celle qui va de l'avant sans reproduire ce qui a déjà été fait. Pourtant, la majorité des productions dans la musique électronique recycle le disco, la new wave, etc.

Comment devient-on DJ, quelle sont les pistes pour accéder à ce statut, à ce métier?
Les chemins sont extrêmement divers. Il y a par exemple toute une série de magazines destinés aux DJ comme Mix Mag qui proposent des cours rédigés par des DJ connus. De cours qui ont trait à la programmation mais aussi à l'entretien et à la modification des platines (les fameuses Technics SL1200 qui sont au DJ ce que la Fender Stradocaster est au rocker) ou la manipulation des vinyles. Il y a des tas de publications pour les aspirants DJ, essentiellement anglophones tels que Jockey Slut, Mix Mag, DJ Mag ou Muzik qui constitue pour moi une excellente référence. Pour apprendre le métier, il y a aussi évidemment l'observation des DJ dans les boîtes. En Angleterre on a d'ailleurs surnommé ces observateurs 'trainspotters' que l'on peu traduire par 'matteurs de DJ'

Le métier de DJ peut-il déboucher sur une carrière ou cela restera-t'il toujours une activité de jeunesse?
C'est très variable, Laurent Garnier par exemple a un jour déclaré qu'il ne désirait pas devenir un papy intégral, pourtant il en existe. François Kevorkian par exemple a été vraiement reconnu en tant que DJ pendant toute la période disco. A la fin de cette période, vers les années 80, il s'est tourné vers le mixage et la production. Il s'est entre autres occupé de gens comme U2, Cure ou Kraftwerk. Depuis l'avènement de la house et de la techno, c'est reparti, il est à nouveau au top et il a la cinquantaine.

François Michielsen