Energy et Street Parade, l'An 4,
Dix août 1996, 15 h 30, sous un soleil hésitant, Zurich voit ses rues se remplir de personnages aux looks bigarrés. La Capitale suisse de la finance revêt pour un week-end son habit de fluo et affiche un air de fête. La météo n'est pas optimiste, mais pour l'instant, tout va bien. La Parade doit débuter, mais c'est sans compter avec l'afflux d'une jeunesse de plus en plus nombreuse. En effet, ils auront été 350.000 à se déplacer pour cet événement annuel qui ne cesse, à l'instar de la Love Parade, de grandir démesurément.

Pendant quatre heures, les chars défileront diffusant une musique puissante par le biais de sonos monstrueuses qui feraient pâlir de honte certains organisateurs de soirées. Les gens dansent ou regardent, c'est selon. Certains s'éclatent, tous habillés, sous les douches qui bordent la "Zurich See". Les badauds, héberlués, se joignent aux ravers sans un quelconque à-priori, sans complexe...

Face à la Burki Platz bondée, le bateau affrêté par Partizan et MTV regorge de monde. La sono, tournée vers la place, crache ses décibels dévastateurs et de nombreux Dj's se relaieront tout au long de cet après-midi. La police fluviale navigue doucement en surveillant le tout d'un air détaché. Ce week-end, la ville appartient aux ravers. Même les petits cafés qui habituellemnt passent du rock ont sorti des petits sound-systems; la house et la techno s'affirment alors tout à coup comme un genre majeur.

Le soir, alors que le ciel s'assombrit et que quelques goutelettes commencent à tomber, chacun aura le choix pour aller danser. Cette année, hormis le traditionnel ENERGY, différentes organisations ont décidé de monter leur propre événement. C'est à la Rötte Fabrik, comme au club Sensor, ou encore à l'Oxa, qui jouxte la Hallenstadion (où les Français Ralph et Sonic officieront), que les amateurs pourront se rendre. La Suisse n'a certainement jamais vu un tel nombre de Djs rassemblés sur un seul week-end. Incroyable ! Au centre ville, des panneaux d'affichage informent sur les différentes soirées et c'est ainsi qu'on assiste aux premiers dérapages avec un faux Universe.

En ce qui nous concerne, nous essaierons d'aller un peu partout, mais à tout seigneur, tout honneur, c'est Energy qui attirera notre première visite.
Malheureusement, la pluie sera de la partie et c'est sous un vrai déluge que nous accèderons à la fête. Les organisateurs ont dû prévoir le coup puisque la cour intérieure est agrémentée cette année d'un immense chapiteau qui assure la circulation entre les différents pôles d'intérêt.

Première direction, la grande salle, puisque c'est évidemment celle où nous ne passerons pas la nuit. Le débalage habituel de Djs happy-core et autre gabber finit par être un tantinet agaçant. Curieux, à l'inverse des autres années, la Hallenstadion ne vibre pas sous une avalanche de décibels surpuissants. Le son est moyen, voire pire... Que se passe-t-il ? Nous apprendrons par la suite que la Police s'est baladée toute la nuit, décibel-mètre au poing pour assurer le respect des lois en vigueur concernant la diffusion musicale. Lois draconiennes en vérité, puisque le seuil maximum a été établi à 90 décibels. Autant dire que cette mesure ridicule assurera aux ravers la certitude de ne subir aucune lésion auditive. On se rend compte ainsi que la France ne règne pas toujours en maître au pays des lois arbitraires.

De cette salle, nous ne retiendrons, chauvins que nous sommes, que le Live d'Ingler (Laurent Hô) qui fût une démonstration d'un grand talent et d'une intégrité toute particulière. En effet, l'artiste français ne cèdera pas à la demande d'un public avide de "tralala" survoltés pour se consacrer à sa vision du hardcore, pur, dur, violent...différent. Dans un autre genre, d'autres excellent et n'ont pas peur du ridicule. Que voulez-vous, il faut bien faire le clown lorsque que l'on vend des centaines de milliers d'albums à travers le monde, c'est le cas de Charly Lownoise et Mental Théo dont on se demande s'ils ne finiront pas un jour chez Jean-Pierre Foucault.

Allez, faisons fi de toute cette variété et filons vers la salle techno, qui, elle, nous promet un programme alléchant avec un plateau classieux. Cet endroit subira tous les problèmes possibles. La condensation alliée à la pluie battante feront disjoncter la sono. Jeff Mills ne pourra pas terminer son set, trop d'eau dans la table de mixage. Hardfloor rencontrera des problèmes techniques. Green Velvet aura des sueurs froides quant à l'avenir de ses machines. Et, pour finir, les Djs joueront derrière une bâche, à l'abri des regards, sans aucune interaction avec leur public. Mais, hormis un live pathétique de Robert Hood, l'ensemble des artistes présents nous offrira un florilège de mixes inoubliables. Rendons-leur hommage : Oliver, Ilana, Miklos, Gangsta, Ian Pooley (euh, pas encore un roi du mix, le garçon...), Laurent Garnier, Eric Borgo, Tek Jam, Sonic.

Au pays de la house, tout va bien et la salle ne désemplira pas. Pas de problèmes, l'ambiance sera chaude et conviviale. Côté jungle, le monde fait un peu défaut, le public n'est certainement pas encore habitué à ce style qui fait une timide apparition au pays du chocolat au lait. Cependant les performances d'Alex Reece, A guy called Gerald et Jacob's Optical Stairway (à suivre !!!) auront compté parmi les grands moments de la soirée. Evidemment, on ne peut pas être partout en même temps, mais un peu de tout, ça rafraîchit les neurones.

Le dimanche matin, les aficionados les plus courageux (dieu sait qu'ils étaient nombreux) ont pu se rendre aux différentes afters prévues pour l'occasion. Le soir, la ville a retrouvé un semblant de calme, après un week-end épuisant.

La Culture Techno grandit et commence à poser de sérieux problèmes d'organisation. Il n'y est pas question de violence, mais d'un trop grand succès. Que ce soit à Berlin comme à Zurich, le nombre des participants augmente de manière exponentielle et les villes ne vont bientôt plus être en mesure d'accueillir les "Techno Lovers". On est désormais bien loin des records battus, il y a bien longtemps par Woodstock et dont certains se gargarisent encore, prétextant une véritable révolution culturelle. La révolution est en route, là ou personne ne daigne poser son regard...