L'HISTOIRE SECRETE DES RAVES
PARTIES (Evenement Du Jeudi)
Le prestigieux EDJ se lance dans la mode et nous pond un article qui ne
sort décidément pas des sentiers ultra labourés de la pensée unique des journaux
nationaux.
Comme tout le monde, l'hebdomadaire reprend les clichés habituels, drogue et deal, troc
et démerde, absence de discours revendicatif et jeunesse "dans le move" etc...
Si il est bien un bon point qu'on peut leur accorder, c'est la qualité des photos
publiés...
Encore un mot pour reprendre une phrase du texte : "L'ultime signe
distinctif avec les premiers sounds systems anglais réside dans l'absence de discours
revendicatif, mis à part celui de l'activisme festif".. Il est navrant que des
journalistes rompus à ce métier ne soient même pas parvenu à comprendre qu'il n'y a
pas UN message revendicatif, mais des dizaines, sous-entendus par la nature de nos fêtes
: la société comme tout ce qui fait notre monde est à sa manière un équilibre
instable. Nous sommes à une extrémité de la balance. N'est-ce pas un message en soit ?
Retour sur la croisade techno qu'une poignée
d'irreductibles lançait, il y a 10 ans à peine, à travers l'europe.
Toujours sauvage, toujours illégalle,
elle a initiée bien des changements. L'histoire
secrète des raves parties
Paris,
hiver 1999. Les vitrines des grands magasins clignotent à l'approche de Noël. Sous un
immeuble de Bercy résonnent les chants de sirènes
infernales aux vibrations de marteaux-pilons. Dans un
long tunnel obscur, depuis longtemps déserté par la civilisation, s'agitent comme des
rats quelque trois mille filles et garçons:
crânes rasés, regards graves, treillis militaires
froissés. Vautrée dans la poussière, le
cerveau détraqué par des substances chimiques, ignorant le froid et la fatigue, la foule
danse au ralenti. Le son métallique, assourdissant, d'une techno
hardcore transperce les chairs.
Le spectacle est hallucinant. Un
paysage post-apocalyptique digne de Mad Max
où des
hordes de soldats en déroute auraient trouvé refuge. Les
jeunes gens - 20 ans en moyenne - semblent jouir de ces conditions
extrêmes comme d'une
ultime provocation envers
nos
sociétés policées.
Nous sommes dans une free party: une rave gratuite et
clandestine.
Elle est organisée par les Heretik, un jeune sound system parisien composé d'une
douzaine de membres, dont le plus âgé a 25 ans.
Adeptes
de la débrouille, ils se sont occupés de tout, ne comptant que sur eux pour mener à
bien leur entreprise illégale.
Mais leurs
efforts sont récompensés.
Guidés par une
mystérieuse infoline révélant le lieu de la fête à peine une heure avant son début,
une meute de partisans -certains venus de province- ont accouru pour participer à l'orgie
sonore. Devant l'affluence, la police se voit dans l'impossibilité d'intevenir
sans provoquer
un carnage. Cette nuit, aucun incident n'est à
signaler, malgré l'absence de service d'ordre.
Il serait
tentant de réduire les free parties à un mouvement marginal, un produit de la
crise, un passe-temps de dégénérés. Et ce
à un détail près: ces raves sauvages trouvent un écho grandissant auprès de la
jeunesse européenne. En France, ils sont des
milliers à parcourir des centaines de kilomètres pour communier sur des beats hardcore.
La tête dans les étoiles et les pieds dans la boue, loin du confort
douillet des boîtes de nuit.
Autour de Paris, une ou deux free parties ont
lieu dans un rayon de 150 kilomètres chaque semaine. Les sound systems les plus appréciés déplacent
jusqu'à trois mille
personnes. Détail révélateur: en 1993, le
même tunnel de Bercy avait déjà été le lieu d'une free party.
Elle n'avait alors rassemblé que trois cents
personnes. Aux commandes, la mythique Spiral
Tribe, tribu de travellers anglais qui, depuis le début de la décennie, sillonne les
routes d'Europe et attise le mouvement né outre-Manche. « On peut légitimement se
demander, écrit le musicologue Emmanuel Grynszpan,
s'il ne faut pas voir en Mrs Thatcher la mère des free parties. » En 1988, l'acid
house quitte l'underground et enflamme les clubs britanniques alors que les effets de l'ecstasy durent
jusqu'au petit matin, les autorités promulguent une loi obligeant les boîtes de nuit à
fermer à 2 heures. Pour prolonger la fête,
reste une solution: investir clandestinement des endroits improbables. Les raves sont nées dans une usine abandonnée ou
une clairière isolée. Mais ces nouvelles
moeurs festives auraient sans doute pas connu un tel élan si elles n'avaient pas, très
vite, rencontré la tradition «traveller »,
qui se développe en Grande-Bretagne depuis que la suppression des aides sociales a
chassé les communautés marginales des vines. Les
ravers prennent modèle sur les travellers. Ils
s'organisent en sound systems itinérants pour colporter le nouveau son à travers le
pays.
Les
free parties prennent dès lors une dimension politique, en opposant une nouvelle forme
d'hédonisme à cet ennui profond qui plombe l'Angleterre conservatrice.
Elles se révélent aussi, par leur nature
éphémère, difficilement maîtrisables par les forces de police. Elles proposent enfin un mode d'existence autonome
qui repose sur la récupération des rebuts de la société de consommation: matériel
hi-fi obsolète, sites industriels sacrifiés sur l'autel de la crise ou camions de
l'armée condamnés à la casse. « C'est le principe du mixe à l'échelle de la
société, analyse le sociologue Michel Maffesoli. De la même façon
que le Dj mélange des vieux disques pour créer un nouveau morceau, les nomades techno utilient
des objets déjà existants pour inventer un style de vie inédit. Les free parties
originelles bannissent l'argent. Le troc y
est courant. On échange des drogues -LSD, ecstasy- contre des disques, des disques contre
de l'essence, de l'essence contre des tatouages... Chaque rave se clôt par un rituel
incontournable : quelques excès qu'ils aient connus, les ravers ramassent leurs ordures,
s'attachant laisser la nature plus propre qu'ils ne l'ont trouvé.
paradoxalement,
l'énorme succès que rencontrent les free parties en Angleterre va leur être fatal. En
1992, le teknival de Castlemortom, où la techno pulsera pendant
trois jours d'affilée sans interruption, rassemble quelque cinquante mille personnes.
Les autorités paniquées ne tardent pas à réagir. Le matériel est
confisqué et plusieurs membres de tribus sont arrêtés. En 1994, la Criminal Justice
Bill interdit toute réunion de plus de cent personnes écoutant de la musique
répétitive. De toute façon, dès 1992, les tribus les plus déterminées, comme
Bedlam Circus et Spiral Tribe, se sont exilées en France.
Sur le continent,
les nomades techno vont entamer une incroyable croisade sonique. On peut alors suivre leur
progression géographique. En France, d'abord. Eté 1993, le premier teknival débarque à
Beauvais. Une infoline saturée vient à bout de trois répondeurs; des voitures défilent
sur 5 kilomètres comme des tanks dans la nuit; des tonnes de décibels prennent d'assaut
le cerveau; de l'ecsta en rafale. Ceux qui mouillèrent leur tee-shirt lors de cette
épopée fondatrice en parlent aujourd'hui avec d'étranges lueurs dans les yeux.
Il y a eu Woodstock en 1969 et Beauvais en 1993 , affirme un vétéran. Le même
été, on retrouve la Spiral Tribe à Montpellier et à l'automne, un deuxième teknival s'organise
à Fontainebleau. En 1994, les travellers passent les frontières. Certains se dirigent
vers la péninsule Ibérique, d'autres remontent les Pays-Bas. De longs convois d'une quarantaine
de véhicules partent pour l'Est, notamment la République tchèque. En 1995, une fraction
part à la conquête des Etats-Unis; une autre, quelques années plus tard, rejoint l'Inde
par la route.
Aucun rews médiatique: les raves se
propagent d'elles mêmes
Autre paradoxe: alors que les médias
s'enorgueillissent de leur toute puissance, la musique dite technologique a contaminé
l'Europe sans le moindre relais médiatique. Cette culture a été directement transmise
à la jeunesse par des sound systems itinérants. Michel Maffesoli rappelle: "Il
existe une similitude entre les poètes dionysiaques de l'Antiquité, les troubadours du
Moyen Age et les nomades tedmo. Tous créent une culture à partir de la circulation. Ils
prennent la route, allant de ville en ville, générant des sortes d'émeutes festives à
la faveur desquelles les populations expérimentent cette culture. Cependant, si les free
parties ont participé au retour de phénomènes archaïques, leur développement est
inséparable de celui des nouvelles technologies." Les travellers techno ont beau
avoir les mains dans le cambouis, ils n'en utilisent pas moins l'Intemet dès 1991 pour
tisser leur réseau. Au fur et à mesure qu'ils traversent les pays, les
Anglais provoquent des vocations. Dans leur sillage naissent des sound
systems locaux qui continuent de cultiver le son après leur départ. La première
édition du festival techno Boréalis à Montpellier intervient quelques mois après le
passage des Spiral Tribe. La France devient la terre d'élection des free parties dès
1993. Les Nomades, OQP ou Teknokrates reprennent à leur compte ce mode de vie.
A partir de 1995, cependant de nouveaux sound systems se
démarquent du modèle britttanique, en choisissant un mode de vie moins marginal. Les
Furious, Heretik ou Mas y Mas -pour ne citer qu'eux, parmi la soixantaine actuellement en
activité- ne sont plus systématiquement nomades. Ils
vivent dans de grandes villes autour desquelles ils organisent des free parties.
Plusieurs fois dans l'année, ils se regroupent au cours
de teknivals rituels, formant de gigantesques campements pendant cinq ou six jours, où peuvent
se
côtoyer une quarantaine de sound systems.
Avec
cette nouvelle génération, le mouvement va sortir de l'underground pur et dur pour
devenir un fait de société. Forts de l'expérience de leurs aînés, à qui la drogue a
parfois été fatale, ils ne fondent plus leur économie sur le deal. Pour rentrer dans
leurs frais, ils demandent 10 F à l'entrée ou organisent un bar. En fait, les membres de ces tribus urbaines, à
l'instar de leur public, mènent souvent une vie
sociale des plus normales.
Ils sont étudiants, travaillent ou encore vivent
chez leurs parents. Ultime signe distinctif
avec les premiers sound systems anglais réside dans l'absence de discours revendicatif, mis à part celui de
l'activisme festif . La police, cependant, se montre
de plus en plus dure. Elle ne reconnaît le droit d'existance
aux raves seulement lorsqu'elles s'inscrivent
dans le circuit commercial. La jeune tribu albigeoise Wodooz a fait les frais de cette
répression. Six mois d'enquête, infiltration du milieu, écoutes téléphoniques: un
juge d'instruction d'Albi a eu recours à des moyens démesurés pour coincer ceux q'elle
espérait être de dangereux trafiquants de drogue. Au
final, seulement 25 grammes de haschisch ont été trouvés lors du coup de filet de la
gendarmerie. Onze membres de la tribu ont quand
même été mis en examen. A l'issue de leur procès en septembre dernier, un seul chef
d'accusation sur cinq a été retenu, celui de travail clandestin.
Résultat: une condamnation à 10 000 F d'amende
dont 5 000 F avec sursis. Mécontent d'un
verdict qu'il n'estime pas assez sévère, le parquet a fait appel....
Les free parties sont
pourtant le fruit même de la société qui les condamne. A travers ses excès, elles offrent un exutoire à la violence sourde de nos
vies modernes. "Nos sociétés ont tendance à dénier la part d'ombre de l'homme, alors
q'il s'agirait au contraire de la prendre en considération pour quelle se modère",
confirme Maffesoli. A l'instar des carnavals originels, les free parties sont des lieux
hors du temps et en rupture avec la vie quotidienne, dans lesquels il est possible de
ritualiser l'apparition de la part maudite, d'homéopathiser ses effets. "A quand la
free party déclarée d'utilité publique", comme le revendiquaientt les Heretik sur le
tract annonçant leur sabbat clandestin dans les caves de Bercy?
V.Z.