LE BOUM (BOUM) DE LA MUSIQUE TECHNO
Longtemps
clandestine et marginale, la techno était l'apanage des milieux branchés. Aujourd'hui la
musique électronique se popularise et défile dans les rues. Elle est sur le chemin de la
reconnaissance artistique et, ce n'est qu'un début....
Les vibrations de la sono
accélèrent le rythme cardiaque, les tympans suivent le tempo tant bien que mal et
l'environnement disparaît progressivement. Reste la musique ... Au passage du premier
char, le son s'empare littéralement du corps. Impossible d'y échapper. La dernière
techno parade a rassemblé plus de 200 000 personnes, le 18 septembre dernier, dans les
rues de Paris. Sur les trottoirs, les avis sont partagés. On aime ou on aime pas. Une
chose est sûre, personne ne reste indifférent à cette tendance musicale. Tout au long
du parcours, ceux qui aiment, dansent à perdre haleine. Ceux qui n'aiment pas, se
bouchent les oreilles, ou tentent de trouver un refuge plus silencieux.
La techno est née en 1989, à Détroit, aux
USA, dans les friches de l'industrie automobile. Puis elle se répand très vite dans le
bassin de la Ruhr, en Allemagne et dans les cités post-industrielles du Nord de
l'Angleterre. Les DJ's font leur premiers pas, dans des fêtes souvent improvisées, en
utilisant comme base à leur musique des échantillons sonores, des sons électroniques,
des boîtes à rythme, le tout peut-être mixé sur un ordinateur; Un nouveau courant
musical est né, particulièrement fécond. Surtout que pour 50 000 Fr, on peut composer
sa propre musique avec le Home Studio.
Ce que l'on appelle de manière générique "techno" recouvre une
multitudes de variantes et de sous-groupes. Classification par rythmes, par sonorités,
par couleurs ... Avec une cadence caluculée en BPM qui imite celle du coeur, des sons
plus ou moins atypiques, l'absence de voix, pas d'instruments ni de partitions, cette
musique ne ressemble à aucune autre. "La techno est un phénomène musicale !
Elle est composée à partir d'appareils électroniques, ce qui la place en pointe de la
recherche musicale", "explique Pierre Albert Castanet, directeur du département de
musicologie de l'unversité de Rouen. Ce n'est pas une musique réchauffée ou un
dérivé quelquconque. C'est un courant musical à part entière qui a sa touche propre
avec la surprésence du bruit. De plus, elle est innovante car elle a l'art d'accomoder
les restes. C'est de l'art tout simplement. Car l'art demande une certaine prise de risque
et les DJ's en prennent beaucoup quand ils improvisent devant un parterre de danseurs
LA TECHNO FAIT PEUR
Longtemps considérée comme une musique de marginaux et de drogués, la techno
acquiert peu à peu ses lettres de noblesse. Après tout, ce fut le cas pour tous les
nouveaux courants musicaux. En son temps, le rock a cristallisé les mêmes jugements. Il
ne faisait pas bon assister à un concert de rock, lieu de toutes les perversions et
porter les cheveux longs. Avec la techno, les mêmes provocations sont de mises et c'est
là l'essentiel pour beaucoup. Une génération entière possède enfin sa propre musique
et ne se sent plus obligé d'écouter les disques des ainés. "La techno fait
peur aux vieux ? Tant mieux ! Elle échappe complètement à leur culture ? Encore Mieux !"
ironise le journaliste Guillaume Bara, dans son livre 'La Techno'.
C'est cet aspect provocateur qui est à l'origine des raves, étroitement
associées à la techno. Ces fêtes à l'origine clandestines, rassemblaient quelques
centaines de jeunes à la recherche de défoulement total. Elles étaient le point de
rencontre de personnes très différentes qui ne trouvaient plus leur compte dans les
discothèques. Dans les bois, dans les hangars désaffectés, les sons crachaient les
décibels jusqu'au petit matin devant les danseurs proches de l'extase et de la transe.
Mais les autorités se sont rapidement inquiétées de ce phénomène qu'elles ne
maîtrisent pas. Avançant que ces fêtes favorisent la prise de drogue, une véritable
chasse aux ravers a été entreprises par les forces de l'ordre. Pourtant l'interdit ne
fait que renforcer le mouvement. En Grande Bretagne où la répression est la plus dure,
certains ravers n'ont eu d'autres choix que de se réfugier en France. Ce qui a pour effet
de faire des raves ou des concerts techno de véritables lieux de liberté.
La techno n'était qu'au début un phénomène musical, mais en évoluant et en se
heurtant aux barrières de la société, elle est devenue un véritable phénomène social
et commercial. En 1997, environ 10% des 20-24 ans ont participé à une rave contre 6% des
25-34 ans. "C'est un phénomène de société qui récolte tous les suffrages. On
aime ou on aime pas, on est obligé de la subir", constate Pierre Albert Castanet.
Elle est présente partout même au générique du journal télévisé de France 2; On peut
d'ailleurs remarquer une sorte de résignation car c'est devenu une musique
environnementale. Pour les afficionados, c'est un signe identitaire fort. On appartient à
une tribu ! C'est une musique intergénérationnelle mais pas intercaste. Elle s'oppose au
rap.
En effet, la techno ne revendique aucune révolution sociale, ne dénonce aucune
injustice. Elle ne propose qu'une bulle d'isolement, à chacun d'y tyrouver son compte.
"C'est un monde très égoïste. Quand on écoute de la techno, on est dans sa
tête. Moi, je me laisse envahir par le son pour me sentir comme dans du coton", reconnaît
Manu, amateur de techno depuis 10 ans. Chacun est libre de danser comme il veut, tout
dépend de la manière dont il perçoit le son. Mais, à force d'être entièrement
tourné vers soi et ses sensations, on risque de se couper progressivement du monde et de
se réfugier dans la musique.
LE MIROIR ABSTRAIT DE NOTRE SOCIETE
Cet aveu très lucide n'est il pas simplement le reflet d'une société
chaotique ? L'explosion de la musique électronique marque le passage d'une société
industrielle à la société technologique. Ce n'est pas un hasard si cette musique est
née sur les friches industrielles des pays développés, ni si ce sont les milieux
homosexuels qui s'en sont emparés dans les capitales. "Même si un fort instinct
grégaire est développé par les amateurs de techno, la danse n'est pas une danse de
société. On danse seul, mais la teuf est faite pour regrouper des individualités",
explique Pierre Albert Castanet. La techno est donc le miroir abstrait de la société
: il n'y a que du son et chacun l'interprète comme il veut. Le miroir concret, c'est le
rap.
Quoiqu'il en soit, c'est une musique véritablement populaire. Phénomène d'autant
plus étonnant que les précurseurs de la musique électronique comme Pierre Boulez ou
Pierre Henry en France ne touchaient qu'un public très élististe. La techno aurait donc
réussie là où la musique "savant" a échoué. Comment expliquer un tel
succès ? En fait, la techno induit une certaine alchimie qui lui est propre. "Les
BPM provoquent un certain nombre d'effets physiologiques : on sent très nettement les
infrabass résonner dans le ventre et dans la poitrine entraînant ce que l'on appelle la
transe. Mais les gros consommateurs de raves sont parfois malades", prévient Pierre
Albert Castanet. Certains sont littéralemnt accros et sont prêts à se déplacer
n'importe où pour avoir leur dose. Attention ! Ceci n'a été constaté que
chez les gros consommateurs de danse et de musique techno. En revanche, pas d'inquiétude
chez les consommateurs occasionnels. En somme la techno n'est pas une drogue. C'est un
phénomène plutôt similaire à ce que peut ressentir un sportif de haut niveau dont le
corps réclame sa dose d'efforts. "Il est vrai qu'il y a une sorte
d'accoutumance", témoigne Manu. "J'ai déjà remarqué que si un DJ a un problème
technique et qu'il arrête la musique, les danseurs réagissent souvent de manière
agressive. Même si je vais moins en teuf, la techno m'aide à me sentir mieux dans ce
monde. Quand je rentre du boulot, je compose ma propre musique. Elle me calme et m'aide à
éliminer le stress."
LES DJS, CHAMANS DES TEMPS MODERNES
Finalement, la musique techno permet à son public de libérer une grande quantité
d'énergie. C'est un défouloir où chacun bouge comme il veut en fonction de son humeur
et de sa personnalité. Chaque danseur découvre des pulsions irrationnelles enfouies, une
envie de danser qui va crescendi et tourne à la transe; C'est la culture tribale
réinventée. A l'image des sociétés traditionnelles, les DJ sont élevés au rang de
chamans des temps modernes, sans être idolatrés, et les danseurs suivent le rite pour
entrer en contact avec leur être intime. C'est aussi un spectaculaire exutoire social où
les règles et les contraintes quotidiennes sont mises entre parenthèses. Les teufs
techno rassemblent des jeunes et des moins jeunes dont le seul objectif est de faire la
fête, fraternellement et pacifiquement. Exceptionnellement, ils laissent exploser leur
spontanéité et leur personnalité propre sans jamais se demander comment ils sont
perçus des autres., Même, si certains portent des tenues excentriques, humoristiques
voire provocantes, l'important est de se sentir bien. La techno serait-elle un signe
anionciateur de la victoire de l'être sur le paraître ?
DJAMEL BENTALEM
Tiré d'un journal de la MGEN (Mutuelle de l'éducation nationale)